Je sais, il faut faire des choix quand on adapte un livre dense. Je sais, en faisant ses choix, l’adaptateur peut décevoir les lecteurs impatients et curieux. Je sais, l’adaptateur peut s’approprier l’oeuvre avec la bénédiction de l’auteur pour donner à cette oeuvre une autre lecture tout aussi passionnante que le livre. Je sais, l’adaptateur peut tout simplement trahir l’oeuvre. Je sais, il y aura toujours des déçus. « La planète des Singes » n’a vraiment rien à voir avec l’oeuvre de Pierre Boule. Pourtant, j’ai apprécié l’adaptation du livre qui pour le coup n’a que le titre en commun ! J’exagère un peu, mais lisez l’oeuvre. Il n’en est pas de même avec « Au Revoir Là-Haut ». L’esprit du livre est là. Albert Dupontel a eu la bénédiction de Pierre Lemaître. Autour de moi, ceux qui ont lu le livre pensaient qu’il serait difficile de l’adapter. Quand j’ai appris qu’Albert Dupontel allait imprimer le livre sur bobines, j’avais confiance car c’est un univers qui lui correspond bien et qu’il comprend. Que dire ? J’adore Dupontel. J’ai toujours apprécié son univers cartoonesque, burlesque, décapant et sa direction d’acteurs. On y retrouve sa patte dans ce « Au Revoir Là-Haut ». Il y a des séquences proches de la grâce tant c’est inventif. Avec le jeu des masques, Dupontel a ce talent de clown pour en tirer toute la beauté et la poésie. Aidé par l’acteur Nahuel Perez Biscayart (Edouard) qui a su exprimer derrière ses masques tout le spectre des émotions. Il y a du burlesque dans certaines de ces séquences. Albert Dupontel lui-même en Albert avait par moments des airs fugaces de Buster Keaton dans son costume et canotier sur la tête avant de se rendre au dîner du père d’Edouard, Marcel (merveilleux Niels Arestrup). Parfois, la focale grand angle de la caméra ajoutait une dimension délirante au récit. Un récit équilibré entre sourire et tendresse. Dès l’entame du film, suivre un chien qui nous amène dans les tranchées, long plan séquence, nous en dit long sur la maîtrise de la mise en scène d’Albert Dupontel. La scène de la bataille des tranchées est réussie tant je me suis senti happé mais… mais quel dommage quand on s’appelle Albert Dupontel (à moins que cela le desserve, ça m’étonnerait) de ne pas avoir demandé plus de rallonges financières (et pourtant, il a bénéficié d’un gros budget) pour étirer le film d’au moins quinze minutes supplémentaires. Car il manque dans cette fameuse scène où Albert se retrouve dans le trou nez à nez avec un cheval à l’agonie quelques secondes de plus. J’ai été frustré de constater que cette scène ait été aussi vite évacuée. Cela aurait pu être plus intense parce que suffocant, angoissant, désagréable. Frustré de m’apercevoir qu'Emilie Dequenne (Madeleine) et Mélanie Thierry (Pauline) n’aient pas eu plus de visibilité. Que la relation entre Madeleine et le débectant lieutenant Pradelle (belle prestation de Laurent Lafitte) n’aient pas eu lieu. Albert Dupontel opte pour la surprise. En effet quand Pradelle rencontre le père d’Edouard il ne nous dit pas qu’il est son gendre. On l’apprendra au moment où Albert viendra dîner. En soi, sa démarche artistique comparé au livre ne me rebute pas et la comprends. Mais les rôles féminins ont été selon moi sacrifiés dans les choix du réalisateur. Je me suis surpris à me dire « Ah oui, Mélanie Thierry, c’est vrai elle joue ». J’avais oublié son nom vu au générique ! Inutile de s’attarder davantage sur les comparaisons. A cela s’ajoute malheureusement la voix timbrée de Dupontel. Ce n’est pas tant sa voix qui me gêne, bien au contraire, mais la place de la musique. On dit bien souvent que tel film ne passe pas sur petit écran tant les paysages sont panoramiques. On devrait aussi le dire (peut-être) pour les films dont la musique se fait plus sonore que les voix. Et la voix timbrée, certainement voulue par l’acteur-réalisateur, ne s’accommode pas avec une musique bien trop sonore ou envahissante. En tout cas, sur petit écran, j’ai eu du mal à comprendre la diction d’Albert Dupontel. Moi qui l’adore, je ne l’ai pas souvent compris dans ce « Au revoir Là-haut ». J’ignore ce que ça donnait au cinéma. Une frustration de plus. Dommage, mille fois dommage ! Au-delà de cet incident technique qui n’engage que moi, je n’en démords pas : ce film aurait mérité au moins quinze minutes supplémentaires ne serait-ce que pour les rôles féminins. Franchement, le livre avait une sacrée matière première pour permettre à Albert Dupontel de réaliser un film fresque. Cela dit : frustré mais loin d’être déçu. Si déception il y a, c'est le fait d'avoir lu le livre avant et de s'en faire un film et de trop en attendre. Mais à partir du moment où on accepte les choix de l'adaptateur, si on consacre son esprit purement focalisé sur le point de vue d'Albert Dupontel et en prime avec l'aval de l'auteur Pierre Lemaître lequel s'est impliqué, ce "Au Revoir La-Haut" demeure un très bon film car l'esprit du livre est respecté. Et si Albert Dupontel nous propose une autre lecture, je dois reconnaître que sa vision ne trahit en aucune manière l'oeuvre originale. Oui, Albert Dupontel est décidément un grand Monsieur.