Parfois, il faut aller droit au but, et bien c’est que je vais faire, aller tout droit au but : « Au Revoir Là-Haut » est à ce jour le meilleur film de 2017, probablement le meilleur film d’Albert Dupontel et peut-être même la plus belle adaptation d’un roman par le cinéma français depuis « Un Long Dimanche de Fiançailles ». Voilà, ça c’est dit… Si on entre un peu plus dans le détail, « Au revoir Là-Haut » est d’abord un film techniquement maitrisé de bout en bout, et sous tous ses aspects. Dupontel joue avec sa caméra comme l’artiste fou qu’il est : travellings magnifiques, plans séquences, jeux de miroirs, musique parfaitement calée, et appropriée, « Au Revoir Là-Haut » est la preuve, s’il en fallait encore une, que Dupontel est capable de tout et surtout du meilleur derrière une caméra. La reconstitution du Paris des années 20, que ce soit le Paris populaire ou le Paris bourgeois, les costumes (et les masques magnifiques d’Edouard), les décors, l’ambiance aussi, tout est fignolé, réfléchis, sublimé. Le film dure presque 2 heures sans aucune baisse de rythme, on entre dans l’intrigue en une minute et jamais on ne décroche : pas une scène de trop, pas une scène trop longue, tout est très équilibré. A l’image du roman, on passe du rire aux larmes et un clin d’œil, on s’attache aux personnages, si hauts en couleurs, et pas seulement aux deux protagonistes principaux. J’ai lu et j’ai aimé le roman de Pierre Lemaitre, et jamais je n’aurais cru que le cinéma puisse faire autre chose que de l’affadir. Le film est à la hauteur du roman, il ne le dénature pas un seule seconde, c’est tellement rare que je tiens absolument à le dire : si vous avez aimé le livre, vous aimerez le film et si vous ne l’avez pas encore lu vous aurez terriblement envie de vous y plonger. Il est très fidèle à l’œuvre originale,
il n’y a que la fin qui diffère
.
Mais là encore, si la fin est différente, son esprit est le même, juste un tout petit peu moins noire et moins cynique, mais pas de quoi gâcher quoi que ce soit
. Si on ne connait pas le roman, on se laisse porter par cette histoire de deux soldats abimés
(l’un est une gueule cassée, le second est traumatisé)
et plus ou moins abandonnés par leur pays et qui décident qu’après tout, il n’est pas si immoral que cela que de se « rembourser sur la bête ». Le traumatisme de la guerre dans les corps mais aussi des les esprits est bien présente dans le scénario, c’est fait avec subtilité, avec même une certaine poésie mais c’est toujours là : la souffrance n’est jamais loin, même quand on s’amuse avec les zazous dans les salons du Lutécia. La France des années 20, c’est aussi deux choses que le film souligne parfaitement : La France honore ses morts et abandonne ceux qui ont eu le malheur de survivre, et s’ils ont été blessés c’est encore pire. Et puis, les affaires reprennent avec le marché des inhumations. Henri Pradelle est un personnage de salaud magnifique qui porte deux casquettes : celle du gradé qui se nourrit de chair à canon et celle du profiteur de guerre qui s’enrichit sur les cadavres de ses compatriotes. Ca fait beaucoup pour un seul personnage mais il cristallise tout ce que la guerre peut produire d’ignoble et on adore le haïr. Laurent Laffite lui donne corps et il est parfait dans le rôle du type ignoble. Il parait que les rôles de méchants sont les plus jouissifs à incarner pour un acteur, alors Laffitte a du se régaler ! J’attendais la courte scène avec le fonctionnaire Merlin, déjà inoubliable dans le livre, elle est dans « Au Revoir Là-Haut » aussi courte que croustillante ! A part Pradelle, qui ne joue que dans une catégorie, les autres personnages oscillent entre le bien et le mal, entre le respectable et l’immoral. Ils sont servis par un casting juste parfait, Dupontel tempère sa forte personnalité pour composer un Albert Maillard à fleur de peau. Niels Arestrup incarne un père pétri de remords tardifs et qui, à eux moins deux reprises, transpire l’émotion comme je l’avais rarement vu le faire. La jeune Héloïse Balster est la note de fraicheur et de gouaille du film. Mais c’est une mention spéciale que je veux faire à Nahuel Perez Biscayart que je veux faire. Dans un rôle quasi-muet (et pour cause), il fait passer toutes les émotions du monde juste avec son regard. Même lorsqu’il est entièrement dissimulé par un masque, il est expressif, c’est un petit miracle d’acteur. Nahuel était génial dans « 120 battements par minute » et il trouve ici, dans un rôle complètement différent, une autre façon d’exprimer le talent inouï qui est le sien. S’il n’obtient pas un César en février 2018, c’est que je ne comprends plus rien à rien du cinéma français d’aujourd’hui ! Si l’on résume, Dupontel réussit techniquement un film quasi parfait (même l’affiche est sublime), il réunit un casting impeccable et fort d’un scénario en béton armé, il nous offre deux heures de bonheur de cinéma comme on en a rarement. C’est la première fois qu’il s’attaque à une adaptation et à un film en costume, c’est une réussite totale et indiscutable. « Au Revoir Là-Haut » est le moment de cinéma que j’espérais. D’une certaine manière, il va même au-delà des espoirs que la lectrice que je suis avait mis en lui : un grand film, avec du fond, du souffle, de la poésie, de la violence (les scènes de guerre au début sont terribles), de l’humour et de l’émotion. « Au Revoir Là-Haut » c’est du cinéma 5 étoiles, du cinéma populaire (dans le bon sens du terme), intelligent et soigné : un petit miracle comme le cinéma français n’en propose pas souvent !