«C’est pourtant vrai qu’on est des riens du tout.» constate un marin dans «L’Atalante» (France, 1934) de Jean Vigo. «Des riens du tout», c’est ce que semble illustrer ce film de Vigo. Le film relate l’histoire de personnages en marge, vivant sur l’eau et en petite communauté. De ce simple prédicat, Vigo fait naître toute la grâce du film. Il y a de la vie, de l’élan, des cabrioles, des rires et des vagues dans cette oeuvre de Vigo. Cette cinétique intrinsèque nourrit le film d’un romantisme allègre, nullement élégiaque. Les fréquentations anarchistes de Vigo peuvent expliquer ses choix esthétiques et thématiques. En vérité, peu importe là d’où viennent les choix de Vigo car l’élégance éphémère embrase le film. Ce quatuor, composé de trois marins et d’une femme, vit sur un bateau, l’Atalante. Au sein de ce monde masculin, non moins tendre, la femme (magnifique Dita Parlo au visage candide) souffre de l’ennui et succombe au charme d’un artiste guignol, angelot agité qui vient égayer ses mornes habitudes. C’est le conte d’une villageoise qui s’introduit dans la marge et qui rêve de centre, de la ville. Lorsque cette-dernière viendra à s’enfuir, le désespoir de son marin d’époux donnera lieu à une scène magnifique où l’homme, plongé dans le fleuve, cherche, les yeux ouverts, le souvenir de sa femme. Vigo lui superpose ladite femme en robe de mariée, aux voilages flottants. La quête de l’amour perdu prend des allures somptueuses au cours de cette scène. Cette scène incarne également la mystérieuse esthétique que Vigo installe dans «L’Atalante», privilégiant les diagonales aux lignes droites, les brumes alanguies à une photographie intelligible, une post-synchronisation ingénue à une parfaite prise de son, un découpage composite et tant d’autres. Cette naïveté liminaire du film procure son charme. Comme une pensée anarchiste, qui concéderait à ne donner aucune importance aux choses, Vigo privilégie la passions humaines.