Par son côté un peu mystérieux et disons le abscons, « Leopardi, il giovane favoloso » nous fait nous poser la question de la vocation d’un biopic. Habituellement ce genre cinématographique donne des signes forts ou des clés sur tout ou partie de la vie d’une personnalité, son œuvre ou sa pensée. C’est ce à quoi l’on s’attend donc ici, avec le récit évoluant autour (le mot à son importance) de Giacomo Leopardi, labellisé plus grand poète italien du XIXème siècle, peu connu en France exception faite de certains érudits. Soit… La première partie (la plus ardue niveau récit) nous montre l’enfance, l’adolescence et enfin le jeune adulte souffreteux (il est atteint d’une maladie neuro musculaire) qui passe doucement du stade de philologue à celui de poète, précurseur d’un romantisme exacerbé. Il cherche à quitter Recanati, sa ville natale où il se sent prisonnier au sens propre (parents castrateurs) comme au figuré (il pense mériter mieux qu’une petite ville de province). Sans transition aucune, on le retrouve des années après, en compagnie d’un ami-frère Ranieri. Ensemble, de Naples à Florence en passant par Rome, il évoluera dans son œuvre mais guère dans sa vie, désargenté, solitaire, en colère contre dame nature. Voilà pour une première lecture transversale. S’il y a quelques incompréhensions, notamment chronologiques, on peut porter la cause sur ma méconnaissance de l’auteur en question ou le fait que qu’Elio Germano (impeccable) incarne le poète à tous les âges (enfance exclue). Mais rien qui n’empêche de s’émerveiller par cette histoire mais surtout la fabuleuse reconstitution d’une Italie bouillonnante dans les premières années du XIXème. Scènes de rues ou de genres, reconstitution d’une éruption du Vésuve, restitution de l’horreur que fut le retour du choléra à Naples, étude de mœurs, on ne peut qu’être impressionné. Le film est soutenu pour cela par une brochette de techniciens hors pair, Renato Berta (pour la photo) et Sascha Ring (pour la musique) en tête. Globalement « Leopardi » est esthétiquement parfait, et son contenu plus qu’intéressant, faisant la part belle aux écrits de celuii-ci. A cela s’ajoute des acteurs habités, Germano bien sur, mais également Michele Riondino à la fougue latine charismatique. Mario Martone soigne son film. Il s’approprie la vie du poète affligé qui dès l’enfance se disait « mûr pour la mort ». Il se l’approprie, certes, mais il en dénature la réalité. Car, en curieux que je suis, je n’ai pu m’empêcher de lire quelques articles sur Leopardi, notamment celui de Charles de Mazade, « Les souffrances d’un penseur italien ». La vérité apparaît comme tronquée, le film focalisant fortement sur le côté morbide du poète (occultant la période heureuse où il vécut à Bologne notamment) et prête à l’amitié entre lui et Ranieri plus d’importance qu’elle ne fut vraiment. De même ici certains personnages disparaissent bizarrement tel le frère où le père. Martone n’est pas le premier à prendre de la distance avec le héros dont il conte la vie. On se souvient, entre autre, avec bonheur de « Amadeus », ou avec amertume des « Fantômes de Goya ». L’approche d’un Leopardi, ange déchu, maître des vers et de la prose se pose alors comme une parabole du génie incompris, dont l’œuvre ne trouve jamais tout à fait sa place en société, tout comme son auteur qui ne peut créer que dans la douleur et le ressentiment. Un destin à la Van Gogh, ou comme tant d’autres artistes maudits. Les seuls, les vrais… ceux dont le génie créateur irradie des siècles durant. Si « Leopardi, il giovane favoloso » est un film mystérieux, il n’en est pas moins captivant et surprenant.