Vitesse lumière.
Écrit par Cinetransparence
Dans cette période où les grosses productions foisonnent, il devient difficile pour le cinéma d’auteur et pour les films à moindre budget d’exister. Ce constat simpliste et cette dualité dans la critique entre deux types de cinéma n’a plus besoin d’être soulignée dès lors qu’il s’agit presque désormais d’un réflexe. La barrière ne doit plus être franchie et les spectateurs se sont majoritairement dirigés vers l’une des deux branches, l’une dite plus intellectuelle, l’autre plus abordable, moins propice à la réflexion, toujours dans la même quête de plaisir. Analyse grossière certes mais qui demeure on ne peut plus visible puisque les deux types de production s’opposent par essence. La radicalité dans les deux camps, d’où abondent des arguments tout à fait acceptables, fait qu’il devient difficile de trouver un juste milieu pour satisfaire l’ensemble des cinéphiles. Pourtant, il reste certain qu’un film issu d’une société de production dite plus importante peut satisfaire un cinéphile fréquentant assidûment l’art et l’essai. Et inversement : The Lost city of Z de James Gray fait partie des multiples exemples qui le démontrent, rassemblant habilement un suspens dit « Hollywoodien » et des problématiques bien plus profondes, qu’il est, avouons-le, difficile de retrouver dans un film de Michael Bay, et ce malgré la diversité admirable que laisse entrevoir sa filmographie. Hormis James Gray, Edgar Wright fait partie de ces ouvriers qui atteignent souvent habilement cette ligne mince entre les deux pôles décrits au préalable. Décryptage de son nouveau film: Baby Driver.
Chorégraphie.
Edgar Wright, auquel on associe généralement la trilogie Cornetto, de Shaun of the dead au Dernier pub avant la fin du monde, a été récemment démis de ses fonctions pour réaliser Ant-man, le nouveau venu dans l’univers marvel. Un mal pour un bien tant Baby Driver est une réussite en tout point. L’histoire est celle d’un jeune conducteur qui aide un chef de gang à réaliser différents braquages, dans le but de subvenir à une dette, dont il est lui-même la cause. Sa particularité, qui fait que le film sort de la banale histoire de truands sur la fin, visant un dernier braquage, est que le personnage éponyme souffre d’un acouphène et doit écouter de la musique à longueur de journée pour ne pas souffrir de surdité. Prenant en compte ce détail essentiel, il n’est que possible d’admirer les talents d’écriture de Wright qui n’a de cesse de jouer avec la bande-son, chaque mouvement et geste des personnages se calquant sur le rythme des pistes qui défilent sur l’i-pod de Baby.
Suivant ce postulat, la musique devient le principal enjeu du film au-delà de la belle histoire d’amour et de la réussite spectaculaire des vols et des braquages. Les objets qui la produisent ( magnifique séquence de recherche d’une station de radio diffusant de la musique lors d’un braquage uniquement dans le but de survivre ) créent à eux seuls le suspens, tant leur présence dans le champ devient essentiel pour la survie du conducteur : lorsque l’un des braqueurs détruit l’ipod de Baby, c’est comme si le personnage perdait l’usage d’un membre. Les pistes défilent à la vitesse du film jusqu’au silence final, où Baby retrouve la stabilité tant recherchée, s’émancipant pleinement de sa dépendance à la musique. A l’heure où il devient difficile de trouver de nouveaux héros sortant des carcans habituels (voir mon article précédent et celui sur Les nouveaux héros), Wright surprend en dressant le portrait d’un personnage qui échappe aux prérequis devenus quasiment indissociables au genre : pas d’héroïsme exacerbé, ou d’acte insensé. Le héros est avant tout humain et logique. Jamais le film ne chute dans l’exubérance ou l’excès, tout comme son personnage éponyme. A la manière d’un Carpenter dans Christie, la voiture, avec la musique, sont ses seuls moyens d’expression et ses seuls atouts pour communiquer, comme l’illustre la gêne qu’il éprouve pour discuter lors de son premier rendez-vous. C’est ce qui lui permet d’exister et de s’imposer dans un milieu malfamé où il n’a pourtant nullement sa place. La forme d’autisme qu’il subit lui permet paradoxalement de mieux cerner les enjeux du monde qu’il fréquente, et de compenser l’absence tragique d’un père dont il cherche, sans succès, une figure de substitution.
Cette quête existentielle mêlée habilement à des séquences explosives qui ne dérogent pas au réalisme exigé par Wright caractérise cette possibilité d’échapper à la catégorisation. Bien plus encore, elle permet à l’auteur de construire un pilier dans la continuité d’autres films qui ne peuvent être classées dans l’un des deux pôles : Baby Driver est le film de héros attendu avec son lot d’action mais aussi un apprentissage chronique sur la vie d’un homme cherchant visiblement qui il est, en manque de repères. S’affirmer dans le crime ou fuir, questionner le monde qui l’entoure à sa façon, développer un instinct de survie adapté à toutes les situations, tant d’interrogations habilement pensées et finement intégrés dans tout ce qui avait l’air d’un nouveau film lambda sur des courses poursuites en voiture.