Unfriended. Il s'agit d'un slasher movie assez classique en termes de facture scénaristique s'appuyant sur les poncifs du genre
(groupe de jeunes pas très futes-futes, contexte d'une date de commémoration d'un événement tragique, faute commise oubliée/ou passé trouble des protagonistes, jeu de massacre méthodique d'un tueur mystérieux)
. Il n'est pas particulièrement mémorable sur ce point. Mais ce qui le rend intéressant voire attrayant au départ, c'est certainement son concept de mise en scène: à savoir que toute la narration, tous les éléments de l'intrigue et du montage sont construits exclusivement à partir des images et des échanges provenant d'interfaces numériques (skype, facebook, youtube, messagerie mail, et autres tchat, etc.). On peut voir ce concept comme une sorte de variation originale du format found-footage (narration par caméra subjective). Cela favorise la plongée dans un climat claustrophobique dans la mesure où le spectateur ne dispose d'aucun autre plan permettant d'avoir une vue extérieure aux actions et interactions qui se déroulent sur les écrans des personnages. Ce concept permet donc de jouer de façon intéressante sur la tension, car on ne peut rien voir d'autre que ce qui s'échange entre les différent-e-s protagonistes. Cela rajoute au mystère de l'identité et de la nature du/de la tueu-r-euse.
L'idée est bien trouvée. Seulement, comme dans de nombreux cas de found-footage, le film se retrouve vite piégé par ce choix formel, car plus restrictif au niveau des possibilités qu'il n'y paraît: cela nuit, par moments, à la crédibilité de certaines des actions et des réactions des personnages présentés. En effet, vu que le film s'interdit de présenter l'action par d'autres moyens que par ce biais (sauf dans la dernière scène), il se retrouve fatalement limité dans ses moyens : pour que le spectateur puisse suivre correctement les événements, le film est de fait contraint de clouer ses personnages devant leurs webcams jusqu'au bout. Ce n'est vraiment pas crédible. Face à de telles situations de terreur et de menaces qui s'enchaînent, il est difficile de croire que la totalité des protagonistes puisse se contenter de rester sagement devant leurs caméras jusqu'au bout, juste pour que le spectateur puisse bien suivre ce qu'il leur arrive. Et d'ailleurs, même quand les personnages cherchent à s'enfuir, ils gardent la webcam en face d'eux, pour que le spectateur sache bien dans quel état ils se trouvent. Même en admettant qu'il s'agisse de téléphones, il est rare qu'un-e personnage paniqué-e dans l'action, soit attenti-f-ve à bien cadrer ce qui lui arrive avec son téléphone. Ce n'est pas crédible et cela dénote un parti pris : celui qui consiste à présupposer que le spectateur est trop idiot pour imaginer par lui-même ce qui se passe hors du champ de la caméra. Et pourtant, la force de nombre de films d'horreur et de fantastique, c'est au contraire, de parier sur l'imagination et la capacité du spectateur à inférer sans voir.
Autre travers peu crédible, c'est quand Blaire (la principale protagoniste) décroche des discussions en vidéo-conférence sans prévenir et part tchater en même temps, tout en restant connectée sur Skype. Dans la plupart des cas, les autres protagonistes se taisent curieusement et attendent sagement qu'elle ait fini de tchater en privé (en posant rarement des questions sur ce qu'elle fait)...Et oui, il ne faudrait surtout pas perturber le spectateur moyen, en lui délivrant trop d'informations en même temps: lire une conversation par tchat, en même temps que les autres parlent, ce serait apparemment trop compliqué à suivre. Du coup, les autres restent bêtement figés et muets, du moins la plupart du temps. Ce choix narratif peu crédible en dit long là encore, à mon sens, sur l'image type du spectateur à qui le réalisateur semble s'adresser en premier lieu. On facilite la digestion du spectateur moyen.
On m'objectera que c'est de la fiction après tout et que dans l'absolu, un film n'est pas tenu d'être réaliste. Soit. Seulement, au regard du choix de l'histoire et des partis-pris, il y a manifestement une volonté de chercher le réalisme. Et puis, dans ce cadre, un souci plus prononcé du réalisme et de la psychologie permet de renforcer d'autant plus le sentiment de terreur chez le spectateur. À partir du moment, où le spectateur n'y croit pas un tant soit peu, l'intensité de la terreur retombe comme un soufflet. C'est hélas ce qui se passe.
Je n'ai pas non plus trouvé crédible, le passage où ils commencent à se disputer mutuellement, au cours du jeu que leur impose le/la tueu-r-se les forçant à révéler des informations compromettantes sur les uns et les autres. Ils se crêpent virtuellement le chignon pour des histoires de trahison personnelle, comme s'ils oubliaient le vrai enjeu, la vraie menace qui pèse sur eux, à savoir que la close du jeu c'est que le perdant doit mourir.
Mais le film n'est pas si mauvais que ça en soi : il se laisse regarder. Il y a quand même beaucoup d'idées intéressantes. Le concept est ingénieux et intéressant à exploiter. L'argument du film est également intéressant : il s'agit au fond d'une dénonciation du cyberharcèlement et de l’humiliation en ligne, pratique si courante aujourd'hui qui conduit tant d'adolescent-e-s au suicide. En somme, ça prend la forme d'une fable qui cherche à faire la leçon en faisant peur au public adolescent, et en particulier la frange de ce public, qui serait potentiellement encline à troller et à pourrir la réputation des camarades sur internet. Le choix du concept de mise en scène se prête bien à cette idée. Cela favorise une mise en abîme ironique dans la mesure où le propos du film est aussi de dénoncer le voyeurisme du harcèlement en ligne : il place le spectateur dans cette même position de voyeur
qui assiste au harcèlement en ligne d'anciens responsables harcèlement en ligne.
Mais le film est très classique, voire maladroit et parfois simpliste dans son traitement des personnages et du scénario. Il n'y a rien de saisissant ou de mémorable. Il est linéaire, sans surprise et d'aucuns déploreront qu'il n'y ait pas de véritable twist final qui aurait pu enrichir l'intérêt de l'histoire. Ce n'est pas complètement faux en soi, mais j'estime qu'il y en a quand même quelque chose qui s'apparente à un twist, même s'il est loin d'avoir la force d'une révélation qui renverserait toute la lecture du film :
le choix de nous placer du point de vue de l'écran de Blaire en tant que principale protagoniste permet de brouiller astucieusement les pistes quant à la révélation de fin sur ce personnage... Le procédé qui consiste à nous placer du point de vue de ce personnage invite insidieusement le spectateur à accorder l'innocence au personnage principal, ou du moins, à laisser penser au spectateur que Blaire est probablement celle qui a le moins se reprocher sur la cause du harcèlement vengeur fomenté à leur encontre, alors qu'elle en est la première responsable. Cette révélation progressive n'est pas si inintéressante que ça, même si nombre de films d'horreur ont exploité maintes fois le principe de la secrète culpabilité des victimes de tueurs comme motif initial aux massacres (c'en est même un lieu commun). Mais ce procédé fonctionne bien au regard de la finalité morale de l'histoire. Mais il est dommage que le film ne ménage pas de façon plus contrastée cette révélation pour servir un revirement plus dramatique de l'histoire.