Le Tournoi est sorti discrètement dans les salles. Pourtant, ce premier film d’Élodie Namer mérite davantage l’attention car c’est peut-être la surprise française de ce mois de mai, voire de ce premier semestre 2015. Imparfait mais bourré de qualités, d’envies, de fulgurances, Le Tournoi détonne complètement au sein du paysage cinématographique hexagonal actuel et fait l’effet d’une (petite) bombe. Le récit est simple : Cal, un jeune prodige des échecs, participe à un tournoi (celui du titre) à Budapest entouré de son équipe et de son mentor. Ensemble, ils espèrent bien connaître l’ascension vers la victoire. En s’intéressant au cadre original et privilégié d’un tournoi d’échecs, Elodie Namer offre aux spectateurs un scénario inventif et bien ficelé, où se mélange pêle-mêle des combats acharnés autour des échiquiers, la pression des tournois, l’exaltation des réussites, la rage des défaites mais pas seulement. Le Tournoi permet à la jeune cinéaste de bâtir un propos sombre et plus malin qu’il n’y paraît sur la déshumanisation de ce type de confrontations, qui abrasent parfois les émotions, étape directe (voire nécessaire ?) vers le succès. L’influence majeure semble être l’auteur Bret Easton Ellis, avec ses personnages qui relèvent de spectres, déambulant dans une espèce de purgatoire (ici l’hôtel de luxe hongrois), dont l’aspect excessif (la bande d’amis s’adonnent à toutes sortes de superstitions, paris et rituels entre les matches : d’un mixage du chat perché et du strip-poker à une pyramide de meubles dans la chambre, en passant par des parties de jambes en l’air, des jeux à boire ou des prières matinales) cache en réalité des relations froides et désincarnées. Plus tragique encore est le parcours de Lou, protagoniste féminin du Tournoi et petite-amie de Cal, dont le combat est davantage celui de lutter contre la misogynie du monde des échecs pour s’affirmer. Riche en atmosphère singulière, Le Tournoi ressemble parfois à l’univers romanesque de Sofia Coppola, loin de tout naturalisme, près d’une certaine grâce. Elodie Namer pose un regard attendri et pur, presque poétique, sur ces jeunes sportifs mentaux, des figures errantes et lasses du monde environnant, souvent trop rapide, trop bruyant, trop diachronique pour elles. Bémol en revanche du côté de certains personnages secondaires, caractérisés comme des archétypes et dont l’évolution prend une tournure attendue. De même, on regrettera certains clichés usants sur le lien qui unit un entraîneur et son élève.
Fort heureusement, le casting séduisant a de la gueule : Lou de Laâge (aperçue dans Jappeloup en 2013, nommée cette année aux César du meilleur espoir pour Respire) livre une prestation concluante en incarnant avec brio un rôle beau et bien écrit. De son côté, le jeune boxer Michelangelo Passaniti, alias Cal, est convaincant (même s’il doit encore faire ses preuves) en surdoué au physique carré. L’alchimie est là, et accrédite les questionnements autour des relations humaines. Bon point également sur le plan formel : la mise en scène d’Élodie Namer est dynamique et inspirée (travellings gracieux, travail sur la symétrie et la mobilité des formes, évitement du statisme de la discipline en veillant à éviter les redondances), la photographie léchée, armée de lumières aux couleurs saturées et contrastées. Quant à la bande-son envoûtante, tantôt robotique, tantôt organique, composée par le talentueux Dombrance (un fan de Carpenter), elle tient une place primordiale en participant à l’ambiance si particulière du long-métrage. Félicitations à Elodie Namer qui, en transformant une salle de tournoi d’échecs en un lieu troublant, à la fois sexy, flippant et attirant, a réussi une première œuvre prometteuse, mêlant récit d’initiation prenant, teen-movie habile et fable pop intelligente.