Comme lors du 11 septembre, l'attentat au marathon de Boston sert de base pour de nombreux films. Voir le drame humain servir de symbole pour une nation qui se relève encore et encore malgré l'adversité et la violence qu'elle subit. Cela aboutit souvent à des films au patriotisme exacerbé et qui tombent dans une réappropriation douteuse du drame vécu. De prime abord, Stronger ne semble pas si différent. Inspiré de l'histoire vécu par Jeff Bauman qui a perdu ses jambes durant l'attentat et qui est devenu malgré lui un symbole car a réussi à identifier les responsables de cette tragédie. Le film a donc devant lui tout les pièges possibles et imaginables pour offrir un drame empli de pathos et de patriotisme déplacé mais c'est sans compté le regard d'une extrême justesse que porte David Gordon Green sur cette histoire.
Ayant débuté dans le southern gothic, David Gordon Green a vite démontré de très belles qualités de cinéaste dans des œuvres marquantes et très réussites. Après un passage dans la comédie qui à soufflé du chaud (ses collaborations télévisuelles avec Danny McBride) mais surtout du froid sur sa carrière, il ne s'en ai jamais vraiment remis même lors de son retour convaincant mais oubliable à son genre de prédilection. Le réalisateur a un peu perdu ce qui faisait sa patte, et revient en 2018 avec l'envie de remanier à ça alors qu'il sera une des têtes pensantes du retour de la saga Halloween. Mais avant ça, c'est avec l'histoire de Bauman qu'il revient sur les écrans avec son regard bien à lui. Dès le premier plan, où il filme son personnage à travers un judas optique, qui déforme les perspectives, il pose son intention. Seul Bauman est visible et semble plus grand mais surtout plus difforme que nature, plus que son parcours c'est de l'homme qu'on va s'intéresser dans toute sa grandeur mais aussi ses faiblesses.
Hormis cette ouverture esthétiquement habile, David Gordon Green se montrera très sage avec sa mise en scène qui aura un rôle plus fonctionnel laissant la place au récit et aux acteurs. Sa réalisation très naturaliste s'impose par sa sobriété et reste souvent accroché à Bauman, le suivant sans relâche à travers la difficulté de sa rééducation et de son traumatisme. Le réalisateur n'en fait jamais trop et sait s'effacé même si il doit par moments tomber dans certains passages obligés. Il faut dire que le récit en lui-même passe par les étapes habituelles de ce genre de syndrome post-traumatique et même si certaines scènes appuient un peu trop sur le pathos, le film porte un regard très mature sur le ESPT et surtout très juste sur la dépression qui en découle. Jamais Stronger ne traite son personnage comme le symbole d'héroïsme que les gens veulent voir de lui et suit son parcours avec respect même lors des moments les moins glorieux avec sa famille et sa petite amie.
Les personnages secondaires sont d'ailleurs très vite relégué à une place de figuration au fur et à mesure que le scénario se resserre autour de la relation compliqué entre Bauman et Erin, sa petite amie. Le calvaire traversé par la jeune femme n'est pas non plus passé sous silence et le tout est traité sans jamais tombé dans la facilité. Surtout qu'il peut compter sur des acteurs au sommet de leurs formes pour habiter le récit. Tatiana Maslany apporte beaucoup de force et de conviction dans son interprétation à fleur de peau et possède une alchimie évidente avec un Jake Gyllenhaal totalement habité par son personnage. L'acteur signe ici une de ses performances plus sublimes autant physiquement qu'émotionnellement avec un engagement et une détermination qui donne souvent le tournis. Sans jamais tomber dans le simple mimétisme, il fait sien le calvaire vécu par le vrai Bauman et fascine par la densité de son jeu. Stronger impressionne aussi dans sa façon d'aborder le patriotisme et le symbole qu'évoque Bauman aux yeux de l'Amérique. Que ce soit dans l'étouffement ressenti où il ne peut fuir ce qui lui est arrivé ni le regard des autres. Après une approche classique, le film étonne dans sa conclusion où Bauman accepte enfin sa condition. Malgré un discours qui sent un peu trop la valorisation de la force d'un pays, c'est un choix plus ambigu qui nous est montré non pas celui d'un combat mais d'une capitulation. Celui de la résolution d'un homme qui ne peut pas se battre qu'on se qui lui est arrivé et qui rend les armes pour mieux se reconstruire. La force de continué venant parfois du courage d'abandonner.
Stronger, malgré quelques relents de patriotisme et de pathos inévitables, s'impose comme un film plus mature et intelligent quand au traitement de cette tragédie et du parcours de son héros. Pas aussi manichéen qu'escompté, il trouve sa réussite dans ses nuances qui s'imposent à nous avec bien plus de subtilité qu'espéré. David Gordon Green enrobe le tout dans une réalisation naturaliste et maîtrisé qui sans faire de vague accompagne à merveille un récit souvent juste. On reste face à une histoire finalement assez classique dans son déroulé, même par moments trop linéaire, mais trouve sa grâce dans la conviction de ses acteurs. En tête, un Jake Gyllenhaal brillant qui signe un de ses meilleurs rôles. Stronger est une oeuvre qui trouve la force de transformer un projet casse-gueule en un véritable bon film, grâce aux talents qui la composent.