Sorte d'antithèse en termes d'approche du "Traque à Boston" de Peter Berg qui se focalisait sur la course-poursuite entre les forces de l'ordre et les responsables de l'attentat lors du marathon du 15 avril 2013, "Stronger" se concentre, lui, de manière bien plus humaine sur le devenir de sa plus célèbre victime, Jeff Bauman, amputé des deux jambes suite à l'explosion et témoin-clé dans l'identification des suspects.
La vie insouciante d'un jeune ouvrier dont l'unique perspective jusqu'alors était de reconquérir le coeur de sa petite amie se retrouve donc brisée par la cruauté d'un évènement aussi barbare que lâche. Devenu un symbole de la résistance au terrorisme et évidemment érigé en héros par une Amérique blessée en son sein, Bauman va devoir apprendre à surmonter l'horreur vécue tout en vivant désormais sous le feu des projecteurs.
Prototype même du récit qui, entre de mauvaises mains, aurait tout pour céder aux sirènes de la célébration d'un patriotisme exacerbé, "Stronger" bénéficie heureusement du regard sincère de David Gordon Green, toujours aussi bon pour capter la complexité de la détresse humaine derrière la façade des apparences, et d'un formidable Jack Gyllenhaal pour l'accompagner dans sa vision de la reconstruction après un drame. Devenant le catalyseur de la douleur d'une ville entière qui cherche à tout prix à voir en lui une figure héroïque pour pouvoir aller de l'avant, Bauman tente de jouer artificiellement le rôle qu'on lui demande, cerné par la demande populaire, mais ses failles sont là, prêtes à exploser autour de la tragédie qu'il juge en réalité insurmontable. À l'écran, cette espèce de schizophrénie patente dans lequel le personnage se retrouve plongé de fait s'incarne doublement.
Il y a, d'abord, l'incongruité des manifestations publiques de sympathie à son égard, des célébrations souvent sportives auxquelles il est convié, le renvoyant inexorablement un peu plus dans la solitude de son drame personnel au milieu d'une arène où les "Boston Strong" fusent pour le simple hasard d'avoir survécu. Le discours est, certes, de plus en plus redondant dans ce genre de destin ainsi mis en scène mais c'est un fait : l'Amérique ne sait plus vraiment comment célébrer ceux qu'elle considère comme ses héros, le cinéma ne cesse de les présenter comme perdus à leur sort personnel dans des cérémonies fastes où ils ne sont que des pantins juste bons à assouvir la soif populaire d'exemples auxquels elle peut s'identifier sans les comprendre (on pense d'ailleurs beaucoup à l'excellent "Un jour dans la vie de Billy Lynn" d'Ang Lee lors de la séquence du match de hockey).
Par ailleurs, déchiré intérieurement, Bauman est aussi lui-même tiraillé entre sa mère, parfaite caricature de matriarche alcoolo-bostonienne cédant à toutes les sirènes médiatiques pour saisir l'opportunité d'une vie de paillettes à travers la tragédie de son fils, et sa petite amie revenue partager son quotidien à sa demande, la seule à même de l'épauler et de le comprendre dans sa douloureuse guérison.
Cette dichotomie entre ces deux figures féminines réunies sous le même toit fera écho avec une parfaite justesse à la première intérieure et émotionnelle de Bauman.
Si "Stronger" ne surprend jamais vraiment dans son déroulement, le film n'est jamais meilleur que quand il plonge dans l'intimité de son personnage principal à travers toutes ses contradictions à niveaux multiples. Bien entendu, le talent de Jack Gyllenhaal, bien épaulé par les brillantes Tatiana Maslany et Miranda Richardson, est capable de transcender bon nombre de situations déjà explorées dans des longs-métrages aux thématiques similaires mais "Stronger" parvient toujours à saisir la fragilité de cette lente reconstruction avec ces instants de vie lourds de sens sur la plaie ouverte qui habite en permanence son héros et à laquelle sa condition physique le renvoie désormais irrémédiablement.
Le refus d'abord sous-jacent puis explicite de ne jamais rencontrer son sauveteur lors de l'explosion en sera l'expression de la plus profonde, sa peur de revivre mentalement ces instants fatidiques ayant engendré sa double amputation, toutefois, cette étape se révélera la pièce indispensable d'un rouage qui lui permettra de regarder vers un avenir plus serein.
Pour nous, comme pour lui, il y aura le choc des images mais cela débouchera également sur la séquence la plus bouleversante du film, une simple conversation dans un bar, un moment-clé à la charge émotionnelle insoupçonnée et réparant presque instantanément les fêlures du personnage.
Peut-être qu'il aurait fallu d'ailleurs s'arrêter sur la force de cette scène... Ce qui suivra (les dernières minutes dans et en dehors du stade) cédera hélas à la facilité un brin patriotique que le film avait su éviter jusque-là, l'émotion sera aussi présente mais elle paraîtra beaucoup plus mécanique au milieu des artifices utilisés à côté de l'intelligence de la simplicité de celle qui l'avait précédée. Évidemment, cette conclusion est nécessaire pour nous montrer que son héros est "réparé", autant prêt à accepter son statut de symbole qu'à aspirer à une paix intérieure et méritée, mais elle nous rappelle aussi que, tout en le dénonçant, "Stronger" s'est engouffré, lui aussi, à un moment ou à autre, dans la brèche de la fierté patriotique, ce "Boston Strong" quelque part grotesque par son jusqu'au-boutisme, qu'il entendait dénoncer et, peut-être, même pire, qu'il en est devenu inconsciemment un des moteurs. Un peu dommage de s'achever sur une telle impression vu toute l'humanité que le film avait su délivrer auparavant...