Se placer devant un miroir, c’est refléter sa véritable nature, une sensation primitive qui surclasse toutes les autres. Le « je » passe avant le « nous », et « l’individu » passe avant le « patriotisme ». De ce fait, David Gordon Green évite le sujet et propose un regard ou un recul plus humain, là où « Traque à Boston »se contente de généraliser les faits dans leur ensemble. Ici, on se focalise sur les victimes d’un drame extraordinaire, bousculant toute une vie et la manière d’aborder ses relations. Suite à l’attentat, Jeff Bauman n’est qu’une de ces victimes de violence inexpliquée. Cependant, la situation qu’on lui impose n’est rien d’autre qu’une mascarade sociale et politique qui ne lui profite aucunement. Ainsi, son combat pour se reconstruire se place dans une démarche individuelle forte.
Au-delà de l’aspect cinématographie, la perte des deux jambes de Bauman constitue une castration symbolique, sachant que ce fut à l’occasion d’un marathon. Il s’agit ainsi d’amputer une forme de liberté qu’il possédait depuis sa naissance. De cette façon, le handicap s’extrapolera à la négligence des Américains envers un ennemi qu’il ne peut voir, ni prévoir les actes. Mais on a beau faire porter l’étendard à cet homme, il n’est pas le héros que la nation lui propose d’être. Loin de l’idéalisme qu’il représente, il est vulnérable, imparfait et humain avant tout. Il n’y a donc pas de héros, mais juste un homme qui symbolise un fort caractère, ponctué par le respect et l’humilité.
Alors que tout son entourage pense qu’il a « survécu » au drame, dans les faits, c’est tout autre chose. Son combat pour la survie ne fait que commencer. Il va jusqu’à regagner le respect et l’intégration de sa propre personne, alors qu’il traverse un moment difficile pour le simple individu banal qu’il représente. Une image est incassable et l’homme ne l’est pas. Voilà où veulent en venir le scénariste John Pollono et le réalisateur, par le biais de péripéties, centrées sur mes connexions humaines au sein de sa famille.
La loyauté a donc des limites et on le découvre dans la face cachée et l’autobiographie d’un homme qui souffre de sa nouvelle condition. C’est pourquoi un regard neutre sur le discours est nécessaire. Les médias sont les premiers à distribuer un discours que la population écoute, notamment dans les moments qui touchent le cœur d’un pays. Le cinéma passe en second plan, où ce genre de reconstitution permet d’évaluer la mentalité des protagonistes lors d’une situation qui chamboule plusieurs vies. Si ce genre de drame, inspiré de faits réels, satisfait le public du moment, c’est que le contexte l’exige dans un souci de solidarité et de considération que l’on n’aborde pas tous de la même manière. Dans ce type de sujet, bien que Bauman ait survécu, tout son entourage devient une victime car il le suit dans tout ce qu’il entreprend. Des conflits peuvent naître mais, rien ne l’empêchera de revenir en forme et plus fort qu’il ne l’était autrefois.
Les intentions d’un cinéaste ne sont pas toujours d’affirmer ce qu’il montre à l’écran. Il est également important de jauger les nuances qui puissent exister entre les fait et l’humain derrière une expérience désagréable. Jeff Bauman illustre toute la peine d’une homme déconstruit et déstructuré, mais il fait tout pour se relever, malgré son handicap physique et mental. « Stronger » laisse ainsi un arrière-goût d’espoir, mais il faut également retenir que la victoire sur soi ne peut compenser des dommages que l’attentat a causé. On ne peut aller de l’avant sans considérer les valeurs du passé et c’est pourquoi le récit n’emballe pas dans ce sens, mais ouvre à une remise en question perpétuelle. La vie est toujours en mouvement, quel que soit l’adversité.