C’est l’histoire de ses parents que Kheiron a choisit de mettre en image pour son premier film de cinéma. Le créateur de la (très chouette) série « Bref » a appris de la télévision l’importance du rythme et a mis à profit le beau carnet d’adresse que le succès de sa série a pu lui apporter. Il choisit d’incarner lui-même le rôle de son père, avec toute la charge émotionnelle que l’on imagine. Que ce soit en tant que scénariste, que réalisateur et qu’acteur, Kheiron réussi un film absolument épatant, souvent drôle, très souvent tendre, parfois naïf, parfois très dur mais jamais, absolument jamais ennuyeux ! Le film se décompose en deux parties d’à peu près égale longueur : toute la première partie se déroule en Iran (mais tous les dialogues sont en français) et elle mélange l’humour typique de « Bref » avec une certaine gravité. La seconde partie, située en banlieue parisienne, est un peu plus légère même si elle réserve quelques moments très intenses aussi, mais moins forcément. Derrière la caméra, Kheiron filme avec une tendresse évidente mais aussi une admiration sincère le parcours de ses parents si courageux, et notamment de son père. Le ton est léger, étonnamment léger même pour une époque si violente, et même les scènes qui se passent en prison, et même les scènes particulièrement difficiles sont filmées sans surenchère, sans pathos, avec une petite distance ironique qui désamorce la violence des situations. Kheiron évoque sans voyeurisme les brimades, le climat de peur d’une dictature (puis d’une autre qui lui succède), rien n’est dissimulé, mais tout est évoqué sans emphase, sans que cela ne devienne jamais un film lourd, militant, plombant. C’est l’humour, qui affleure dans toutes les scènes même les plus douloureuses, qui donne cette impression d’optimisme à toute épreuve qui souffle sur son film. Techniquement c’est très bien filmé, avec de très beaux plans, avec une reconstitution soignée de l’Iran des 70’s, une utilisation de la musique agréable, quoiqu’un peu envahissante dans certaines scènes (erreur de jeunesse). Son scénario en deux parties fonctionne, même si personnellement j’ai trouvé plus de charme, de poésie et d’intérêt à la première qu’à la seconde. On y croit, d’autant plus qu’il relate l’histoire de son père et que même si, peut-être, il la romance un petit peu, c’est une histoire vraie. Jusqu’à la fuite en Turquie, l’attitude jusqu’au-boutiste d’Hibat force le respect. Même marié et père de famille dans une Iran devenue islamique et dangereuse, Hibat se bat, milite et risque sa vie. Lorsque ce n’est plus tenable, il fuit la mort dans l’âme avec femme et enfant un pays qu’il aime plus que tout et qu’il ne reverra jamais. Il y a quelques chose de bouleversant chez cet homme engagé, même si encore une fois c’est filmé avec beaucoup de retenue. Une fois en France, c’est l’Intégration avec un I majuscule qui sera sa grande affaire. Par l’apprentissage du français, puis par ses diplômes, puis enfin par son engagement et celui de Fereshteh, son épouse dans la vie associative de banlieue. Ils réalisent en France, à Stain, à toute petite échelle, ce qu’ils ont échoué à mettre en œuvre à Téhéran. Cette seconde partie fait la part belle aux bons sentiments, à une certaines naïveté aussi diront les pisses-vinaigre de service. Mais les bons sentiments commencent à se faire rares ces temps ci, quoi qu’on en dise. La mode est plutôt au cynisme, alors un peu de bons sentiments çà ne fait pas de mal ! Le casting de « Nous trois ou rien » est étonnant pour un tout premier long métrage : Leïla Bekthi est irrésistible en épouse au caractère bien trempé (les iraniennes ne sont pas toutes des femmes soumises) et les seconds rôles sont épatants, comme Jonathan Cohen, Arsène Mosca, Zabou Breitman ou Gérard Darmon dans la première partie (avec un Alexandre Astier inattendu en Shah d’Iran !) ou Camélia Jordana ou Michel Vuillermoz dans la seconde. Peu importe que des acteurs français très français aient été choisis pour incarner des iraniens, çà ne fait pas « bizarre », ça rends juste le film de Kheiron plus accessible, plus attachant. Au moment d’évoquer les petits défauts de « Nous trois ou rien » je suis bien embêtée. A part une certaine naïveté dans la seconde partie qui ne plaira sans doute pas à tout le monde, quelques petites erreurs anachroniques, il n’y a pas grand-chose de plus à redire sur son premier film. Peut-être certaines personnes pourraient trouver que faire une comédie sur la dictature du Shah puis la Révolution Islamique est un peu trop décalé, un peu malvenu. Certes… Mais comme je l’ai dit, sans cet humour, cet optimisme permanent, le film de Kheiron aurait été lourd et démonstratif. Alors qu’avec « Nous trois ou rien », il se permet d’évoquer les prisons du Shah, les exécutions en Europe des services secrets iraniens, les amis qui tombent devant les pelotons d’exécution sans que jamais on ne soit tenté de détourner les yeux : dire les choses avec humour et optimisme, mais les dire quand même…