Une fois encore, l'homme et l’œuvre se trouvent confondus dans les esprits et les récriminations pleuvent sur le dernier opus de Polanski que quelques-un(e)s incitent à boycotter au nom de la morale bafouée. Que les faits reprochés au cinéaste soient d'une gravité extrême, nous ne le nions pas, mais il convient sans doute de dissocier l'homme et son œuvre, une œuvre que du reste nous avons toujours pris plaisir à découvrir dans son extrême diversité. Certes Polanski a tout fait pour que la confusion s'établisse : "J'accuse" relate avec une extrême précision l'affaire Dreyfus qui agita au tournant des XIXe et XXe siècles la France et propulsa l'antisémitisme sur les devants de la scène politique et médiatique. Il y est question de procès, de culpabilité et d'innocence, de vindicte judiciaire mais aussi populaire, bref de tout ce dont s'entoure "l'affaire Polanski". Et pour comble d'ironie, le cinéaste apparaît dans une rapide mise en abyme au cours d'une soirée antidreyfusarde. Clin d’œil à la Hitchcock, mais qui en dit long sur l'implication de Polanski dans son film. Une fois ces considérations évoquées, il reste un film superbe, retraçant les différentes étapes de "l'affaire" avec une science peu commune de la narration. De la dégradation avilissante dans la cour de l’École militaire à la réhabilitation fort tardive du capitaine Dreyfus, il nous est donné de suivre une enquête aussi minutieuse que courageuse que mène le lieutenant-colonel Picquart admirablement interprété par Jean Dujardin. Les personnages sont nombreux, tant dans le clan des antidreyfusards que dans celui - plus timide - des défenseurs de Dreyfus. Zola figure en bonne place dans cette dernière, mais sans ostentation particulière. Le film n'est pas centré sur le "J'accuse" de Zola, mais sur la honte des états-majors ainsi que sur la responsabilité des politiciens que contre l'action d'un homme, Georges Picquart, antisémite avoué, qui prend le parti de la vérité et inflige un fameux camouflet aux tenants de l'ordre public. C'est tout à l'honneur de Polanski d'avoir su mener une narration qui, malgré la longueur du film (près de 2h15), réussit à capter l'attention du spectateur qui assiste ainsi au déroulement d'une enquête conduite sans le moindre verbiage. En revanche, quelle performance les acteurs accomplissent-ils, tant au niveau de leur présence que de leur diction. Nous avons déjà évoqué Jean Dujardin, impeccable dans son rôle d'officier courageux. Il faut encore mentionner Louis Garrel, qui campe un Dreyfus d'une grande noblesse, Emmanuelle Seigner incarnant Pauline Monnier, le grand amour de Picquart, ou encore Grégory Gadebois, parfait dans le rôle si ingrat du commandant Henry, sans oublier Mathieu Amalric campant un Bertillon, expert en écritures, prenant un malin plaisir à concevoir une théorie qui ne peut que nuire à l'ennemi absolu, le Juif, véritable bouc émissaire. Ajoutons que Paris est filmé de la manière la plus sombre qui soit, en lien bien sûr avec la noirceur de l'affaire. A ce titre, les rues et les sites retenus sont partie intégrante de l'atmosphère glauque et nauséabonde du film. Enfin, Alexandre Desplat signe une partition qui s'inscrit parmi ses plus belles réussites musicales. Voilà autant de raisons qui doivent conduire à découvrir en toute hâte le dernier film de Roman Polanski.