Et les bons films ne cessèrent de s’enchaîner. Quelle année ! Notre pays, la France aurait elle aussi pu brandir fièrement ses qualités dans le milieu du cinéma avec ce ‘’J’accuse’’. Manque de chance, le film est réalisé par la bête noire des féministes et des SJW : Roman Polanski. Laissons à ces derniers, aux philosophes et aux moralistes les débats autour du bien fondé d’aller voir un film d'un hors-la-loi… Contentons-nous, humbles cinéphiles de parler de ce film.
‘’J’accuse’’ revient sur l’un des plus célèbres scandales judiciaires de l’histoire contemporaine française : l’affaire Dreyfus. Le film suit le lieutenant-colonel Picquart (Jean Dujardin), l’homme qui va innocenter le capitaine juif Dreyfus (Louis Garrel), condamné pour espionnage.
Si thématiquement, Polanski est un réalisateur cohérent (et ce film là n’échappe pas à ses obsessions comme nous allons le voir), il existe deux Polanski dans sa façon de raconter ses thématiques. Soit l’on a affaire à un Polanski iconoclaste, perturbant où l’intrigue semble piétiner et où il est difficile de garder la tête hors de l’eau (‘’Cul-de-sac’’ ou ‘’Le locataire’’), soit l’on a affaire à un Polanski plus classique, plus efficace et aussi plus clair (‘’Chinatown’’). ‘’J’accuse’’ se situe indéniablement dans la seconde catégorie : le film suit de manière classique une enquête et retrace les principaux événements de cette accablante affaire. Seuls des flash-back viennent rompre le déroulé du film qui reste avant tout une œuvre classique. Et pourtant… Ce qui est fort avec Polanski, c’est que quelque soit le genre de film qu’il aborde (thriller, film fantastique ou historique) et quelque soit sa façon de raconter l’histoire (déstabilisant ou classique), il y a toujours cette même obsession : celle d’un homme qui va voir le monde qui l’entoure se déliter et révéler sa noirceur. Le schéma qui montre un homme vivant d’abord paisiblement avant que le doute, puis l’horreur fasse irruption dans son monde peut s’appliquer à beaucoup de films de ce réalisateur : sa trilogie des appartements hantés, ‘’Cul-de-sac’’, ‘’La neuvième porte’’ et ‘’Ghost writer’’ (tiré d’un livre de Robert Harris, comme l’est d’ailleurs aussi ‘’J’accuse’’). Rebelote ici où ‘’J’accuse’’ (avant d’être un film qui défendrait et déchargerait Polanski) offre au réalisateur un motif idéal et parfaitement adapté à son cinéma. Picquart est un homme qui adore l’armée et qui déteste les juifs. S’il est dans un premier temps surpris d’apprendre que Dreyfus est accusé d’espionnage, il se fiche bien de de voir un juif coupable banni. Mais le doute va s’insinuer lentement dans l’esprit de Picquart : Dreyfus est-il réellement coupable? Le chemin que va parcourir Picquart est déjà vu dans la filmographie de Polanski : après la confirmation que le mal existe bel et bien, le héros comprenant que des forces maléfiques l’entourent se met alors à lutter de toutes ses forces. Mais cette lutte est souvent vaine car le véritable mal se trouve souvent à l’intérieur du héros même. Certes, ‘’J’accuse’’ n’offre pas les mêmes possibilités que les films fantastiques du réalisateur : le héros pouvait être fou, le spectateur pouvait rejeter l’idée de l’irruption du fantastique. Bien entendu, ces critères n’entrent pas en ligne de compte dès qu’il s’agit de parler de ‘’J’accuse’’. On ne doute pas un instant de l’innocence de Dreyfus, on sait que Picquart mènera à bien son combat et il n’y a pas une once de fantastique dans ce film. Mais le doute qui débouche sur la lutte ainsi que la réalité qui se fragmente eux sont toujours là et hantent ce film. Picquart va devoir remettre en cause tout ce qu’il adore et enquêter sur un monde qui, jusqu’à maintenant, il croyait sans tâche : l’armée. Si l’oeuvre de Polanski est aussi cohérente, c’est aussi grâce à la scénographie de ses films. Visuellement tiré au cordeau (photo de Pawel Edelman, le même qui a travaillé sur ‘’Ghost Writer’’), ‘’J’accuse’’ offre au spectateur de flirter avec une folie réelle, concrète, existante : Polanski réussit à incorporer de l’étrange dans une histoire pourtant vu et revu. C’est la force des réalisateurs d’atmosphère : quelque soit le sujet (banal ou non), ils sont capables de lui donner immédiatement un intérêt. Toujours ce mal glauque, tapi dans l’ombre et prêt à émerger pour engloutir le héros (ici il s’agit bien sûr de l’armée, gangrenée et dont le caractère sectaire rappelle les sorciers de ‘’Rosemary’s Baby’’ ). Toujours cette sensation très concrète de décrépitude et de suintement… Les tics formels de Polanski sont là : l’étau qui se resserre sur le héros, de plus en plus enfermé est symbolisé par cette fenêtre du bureau condamnée que le héros ne parvient pas à ouvrir (élément qui n’aurait pas dépareillé dans les appartements hantés chers à Polanski). Et la lutte du héros semble être une chimère et vaine (‘’semble’’ pour ce film,
car la fin est heureuse
). Les personnages polanskiens évoluent dans un long cauchemar où les ennemis sont bien plus nombreux que les amis. Piquart voit tous ses appuis s’effondrer (
Zola est arrêté, l’avocat Labori est assassiné
) et doit faire face aux méandres tentaculaires de l’armée. Le diable de ‘’Rosemary’s Baby’’ est présent dans ‘’J’accuse’’ et prend la forme de cet antisémitisme tantôt voilé (les officiers de l’armée n’évoquent jamais la religion de Dreyfus), tantôt explosif (cette scène ultra-fiévreuse où les livres de Zola sont brûlés et des vitrines de magasins tenus par des juifs sont brisées). Et comme dans tout cauchemar, les rues semblent être des no man’s land où personne n’est vraiment en sécurité (dans les films de Polanski, il y a rarement foule, moyen simple mais efficace pour renforcer cette impression de solitude qui hante le héros).
Mais l’engrenage Polanski comporte ici une anomalie. Dans son système si bien huilé ou ses héros finissent le plus souvent par chuter dans la folie, ‘’J’accuse’’ fait exception dans sa filmographie. Au placard les fragiles héroïnes de ‘’Répulsion’’, de Rosemary’s Baby’’ et les trop silencieux héros de ‘’Le Locataire’’ et de ‘’The Ghost writer’’ : place ici au soldat Picquart. Finis les figures impuissantes de Polanski, figures qui pouvaient à terme lasser le spectateur, tant le réalisateur ne laissait quasiment aucune chance à ses héros de s’en sortir. Finis les fins nihilistes et et les destins calamiteux réservés aux héros. Car Picquart est genre d’homme qui ne s’en laisse pas compter. Malgré un chemin parsemé d’embûche, malgré les risques pris, Picquart ne faillira pas. Quitte à prendre littéralement les armes contre une armée. Dans la famille des grands films d’enquêtes judiciares et de procès, ‘’J’accuse’’ rejoint un film sorti aussi en 2019 : ‘’Le traître’’ de Bellochio. Et on ne peut d’ailleurs s’empêcher de relever de troublantes similitudes entre les héros des deux films. Les deux héros, terriblement déçus par la dépravation des milieux dans lesquels ils vivent (la mafia pour l’un, l’armée pour l’autre) partent alors en croisade contre les principaux responsables. Pour Buscetta, (héros du film de Bellochio), il s’agit de faire chuter cette nouvelle mafia qui a remplacé l’ancienne mafia qu’il aimait. Et pour Picquart, il s’agit aussi, en prenant la défense de Dreyfus de ‘’purger’’ (dirons-nous) l’armée et l’état-major de toutes ses infections et maladies (Picquart était l’incorruptible dont l’armée avait besoin :
il finira d’ailleurs ministre
).
Plusieurs voix pointeront l’opportunisme de Polanski, lequel se prendrait pour le nouveau Dreyfus, victime d’une gigantesque machination. Là encore, il faut être sacrément doué en philosophie, en moral, et en matière judiciaire pour pouvoir émettre un avis constructif sur ce cas là (et des avis constructif sur le bien-fondé d’aller voir ou non ce film, on en a hélas très peu). En revanche, force est de constater que Polanski (comme si les nombreuses plaintes déposées contre lui l’avaient rendues plus fort et avaient décuplées ses envies de se surpasser) vient écrabouiller toute concurrence française en cette année 2019. Il vient au passage se faire pardonner pour ses derniers films, pas vraiment convaincants. Maintenant, on peut se demander dans quel direction ira le cinéma du réalisateur. Seul l’avenir nous le dira..