Faisons tout de suite l’impasse sur la polémique qui a opportunément entourer la sortie du dernier film de Roman Polanski, elle n’a rien à voir avec le cinéma. Quant au possible parallèle entre la chasse aux sorcières opérée à l’époque de l’affaire Dreyfus sur les juifs ainsi que le traitement infligé à ce dernier avec celui subi par le cinéaste dans ses démêlées judiciaire aux Etats-Unis, ce n’est guère plus utile ni vraiment probant. La vague d’antisémitisme présente à l’époque trouve en revanche fortement écho avec les relents actuels, c’est ce qui fait de « J’accuse » une œuvre moderne tout à fait en accord avec son temps. Mais concentrons-nous plutôt sur un film fleuve et touffu qui sort le cinéaste de ces derniers errements littéraires sur grand écran entre le totalement raté « D’après une histoire vraie » et le laborieux et ennuyant « La Vénus à la fourrure ». Son nouveau film est un grand film, la chose est avérée mais peut-être que le sujet, par sa complexité, se serait mieux adapté en mini-série tant il est passionnant, intarissable et plein de ramifications.
En effet, si on est captivé dès les premières minutes par les prémisses de cette affaire et que la dernière demi-heure est tout aussi convaincante, « J’accuse » s’avère parfois ténu et pas toujours aisé à suivre sans se perdre. Ténu parce que l’affaire Dreyfus, connue de tous, est éminemment compliquée, longue et pleine de zones d’ombres que deux heures de films peinent parfois à synthétiser. Notre attention est sans cesse sollicitée, ce qui n’est pas un mal bien au contraire. Mais l’abondance de noms, de personnages, de preuves, de revirements et de rebondissements est parfois difficile à suivre. Si le gros de l’affaire nous semble relativement clair, il apparaît qu’une seconde vision – ou une excellente connaissance de l’affaire – ne serait pas inutile pour en saisir tous les tenants et les aboutissants. On est parfois un peu perdu. Et tous ces excellents comédiens et acteurs (de seconds rôles connus du cinéma français à ses plus grands acteurs) n’ont pas toujours assez de temps et d’espace pour exprimer leur talent et s’acquitter de leur devoir d’acteur comme on l’aurait souhaité. C’est quelque peu frustrant. Ce film d’espionnage à l’ancienne au réalisme impressionnant, forcément anti-spectaculaire comparé aux films du genre actuels, manque aussi parfois de mouvement et d’action. Il est peut-être trop littéraire.
Ceci mis de côté, on ne peut nier le travail d’orfèvre opéré par Roman Polanski. Les recherches faites pour le film ont dû être dantesques et tout cela respire l’authenticité, que ce soit dans la reproduction des faits ou dans le sens du détail mis en branle dans chaque scène ici. Les décors et la reconstitution du Paris de l’époque interpellent et impressionnent tout comme les costumes et une foultitude de petits détails savoureux (notamment sur les méthodes de contre-espionnage et de renseignement de l’époque). Jean Dujardin, dans un rôle principal grandiose et quasiment de tous les plans, est royal et prouve encore une fois qu’il est un grand comédien de la trempe des Belmondo ou Delon. « J’accuse » est d’ores et déjà une grande pièce du cinéma français qui valide encore une fois le talent de son réalisateur après des monuments comme « Le Pianiste », « La Neuvième Porte » ou « The Ghost Writer ». On aurait juste aimé que le propos soit plus clarifié ou vulgarisé, mais c’eut été peut-être aussi sacrifier la minutie du script et la véracité de l’ensemble. Il faut donc juste être très attentif, alerte et constamment au fait des échanges des personnages pour ne pas perdre le fil, surtout que parfois la tension retombe, aspirée par le flot d’informations délivrées. Un bon film, voire un très grand long-métrage, mais dont le sujet aurait peut-être mieux convenu au format télévisuel ou à un découpage en deux parties pour plus de compréhension.
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