Chacun connaît à sa façon l'affaire Dreyfus. Chacun en tire les leçons qu'il veut.
Roman Polanski, du haut de plus de 50 années de carrière de cinéaste et de sa vie d'homme, avec ses lumières et ses ombres, en tire une magistrale leçon sur ce que peuvent les hommes dans le combat du bien et du mal.
Les hommes du mal sont légion dans cette fresque intense et captivante. On les connaît, militaires, magistrats, journalistes, affairistes, fils de famille et vendus. La foule aussi - malheureusement univoque dans le film.
Face à eux, quelques hommes de bien, politiciens, avocats, tribuns... et Picquard.
Picquard, tel De Gaulle en 1940, seul pour tenir debout l'honneur de l'armée et de la France.
Picquard, qui fait son devoir et qui en paie le prix.
Picquard, fort et humain, déterminé et indigné, discipliné mais lucide...
Picquard, en passe d'être broyé mais qui tient Le Cap de la vérité...
Toute cette complexité est rassemblée dans le jeu limpide,sobre et puissant de Jean Dujardin, admirable de bout en bout.
A ses côtés, une flopée de grands seconds rôles, dont plusieurs ténors de la Comédie française, qui lui font une suite impeccable. Polanski aime la France, on le sent dans ce casting richissime et subtil.
Et puis il y a les décors, les costumes, la ville de 1895, la lumière, le cadrage, les dialogues, les mouvements de la caméra, en plein champ ou très serrée, toujours juste. Du grand art, du grand spectacle.
La dramaturgie inouïe de cette affaire impensable aujourd'hui - n'en déplaise aux matamores et aux imposteurs qui enfourchent les faux combats d'aujourd'hui - devient une légende dans le prisme genial du Maître. L'intensité des sentiments rappelle la catalepsie des sens dans laquelle nous avait placés "Le Pianiste".
Peu importe l'homme Polanski. Peu importe qu'il ait "oublié" de montrer que tout une partie des Français soutenait le combat de Dreyfus, Picquard, Zola... Peu importe son "agenda"...
Je ne retiens que la magistrale leçon de cinéma, que la fresque grandiose d'une injustice odieuse, que l'ode à l'espérance, malgré tout, en l'humanité.