Ils s'épient, se guettent, surgissent l'un sur l'autre, ils se battent souvent, et ils se font des bleus sur le corps, mais à l'âme aussi, dirait Françoise Sagan. Les yeux qui se regardent sont aussi sombres qu'ils peuvent parfois devenir lumineux d'amour. Téchiné renouvelle le genre romanesque, comme il sait depuis toujours le faire, à travers notamment ces grands ciels bleus qui remplissent l'écran, ces dialogues qu'on ne peut dire nulle part ailleurs que dans un film, et ces morceaux de montagnes où coulent des rivières inquiètes. Le réalisateur prend un risque énorme en début de film. En effet, il introduit son histoire par un intertexte évident de son œuvre "Les roseaux sauvages", sinon que le texte que l'adolescent récite n'est pas celui de La Fontaine mais le poème de Rimbaud. Le risque est d'autant plus important que les deux premières parties laissent le sentiment d'un film sur l'adolescence, bien moins incarné que "Les Roseaux sauvages" où Téchiné parlait de sa propre enfance au milieu des tourments de la guerre d'Algérie. Mais dès l'irruption du désir à partir de la seconde partie du film, le réalisateur fait totalement oublier sa référence du départ. Il renoue avec un cinéma qu'il aime, c'est-à-dire un cinéma habité, dense, et inquiet. Sandrine Kiberlain interprète de façon juste cette mère médecin, un peu désinvolte, mais entière dans l'amour qu'elle porte à son fils certes, mais à l'humanité toute entière surtout. L'interprétation des deux jeunes-gens est pour le coup sans rature. Ils s'abandonnent à la douceur de la caméra, la texture des dialogues, et la beauté des paysages qui remplit l'écran. Ce n'est certainement pas le meilleur des Téchiné dont on regrette les flamboyants "Ma saison préférée", "Les voleurs", "Les témoins, ou encore "Les temps qui changent", mais ce film ne démérite en aucun cas. Ce réalisateur demeure à ce jour l'un des plus importants auteurs français, qui aura grandi le cinéma de la nouvelle vague, en osant aborder des sujets difficiles, en faisant de l'homosexualité non pas un déballage scabreux de scènes d'amour mais une sentimentalité comme les autres, et en offrant à ses histoires la musique de la littérature.