Ce commentaire n’est que spoiler : surtout ne pas lire avant de l’avoir vu. A voir de toutes façons.
Comment une mère peut-être faire subir autant d’humiliations à son fils ?
Un calvaire ! C’est poignant de voir le regard de Damien quand sa mère prend parti pour Tom dans le bureau du proviseur ou quand elle le lui impose à la maison. Et Damien ne voit pas tout : la main ferme, chaleureuse, charnelle et sensuelle qu’elle pose sur l’épaule de Tom est bien différente de la la main superficielle, en aller-retour rapides et gênés, qu’elle lui prodigue, parfois.
Beauceronne devenue médecin de montagnes, elle se bat pour l’autre, avec un courage certain. Le lien crée avec les patients n’apparaît cependant pas très profond, comme si l’engagement ne franchissait jamais la limite de la volonté. Le père est militaire, aussi glamour et puissant qu’un centurion fonctionnaire à la veille de la chute de Rome. Ce couple n’est chaleureux à lui-même que dans la distance du virtuel. Damien, fruit unique de ce couple, est élevé dans un semblant d’amour qui sonne vide, comme la lave figée d’une aiguille creuse. Il manque la sève.
Et la sève, ce sera le sud, l’adopté, le sang neuf. Chaque scène où apparaît Tom, les parents sont chaleur, charme, lien, ils sont séduits voire subjugués. Damien est attiré lui-même, et le film donne l’impression d’une fascination générale. Chacun voit Tom en sauveur.
Bel apollon en effet : une gnack de Revenant, une prestance d’inconnu du lac. Une Grande Santé venue d’ailleurs, comme Omar Sy dans Chocolat ou Intouchables. Damien est rejeté dans la faiblesse, comme sur l’affiche du film : Tom au premier plan regardant vers la droite (avenir), Damien juste derrière le bade avec un regard de dominé, et Marianne lorgne sur Tom dans l’ignorance complète de son fils. Cette mère est une horreur, bien pire encore que Mommy dont les erreurs étaient touchantes, pire que la froideur espiègle de Mia Madre.
Tout débute à la rentrée scolaire, par Rimbaud et un poème de vie et d’amour, interprété par un Damien d’abord maladroit puis convaincant, comme un homme qui s’apprend. Ensuite vient le coup de tonnerre dans un ciel serein. Filmé en contre-plongée, Damien s’effondre sur le sol suite à un croche pied inattendu de Tom. Pourquoi ? arrogance de Damien dira-t-il plus tard.
Cette chute de Damien est la métaphore du 11 septembre.
L’occident lui-même est incarné par ce couple militaro-médical jouant de ses propres valeurs sur le théâtre des opérations, non sans un certain courage mais assurément sans foi et ni sève. Damien lui-non plus n’est pas sans courage. Dans la 1ère partie il lutte brillamment, comme Napoléon pendant la campagne de France, mais finalement se soumet : Téchiné multiplie ensuite les scènes ou un Damien quémandeur vient supplier un Tom puissant et charnel qui le repousse. L’hypothèse d’une complémentarité positive n’est même pas envisagée ici : Tom possède à la fois la grande santé du corps et celle de l’esprit : il obtient la meilleure note du cours philosophie sur un sujet comparant les philosophies d’orient et d’occident. Il ne laisse au blanc-bec que « b²-4ac », le monde froid et théorique des mathématiques.
Je ne sais pas comment prendre ce film. L’immigration est une énergie qui vient d’ailleurs et qu’il est sain de ne pas refuser. Mais ce film met en scène une dégradation de l’image du soi occidental qui en vient à considérer l’autre comme un sauveur voire un maître. Tant que ce processus de sape reste l’élagage d’un ego occidental grisé de lui-même, c’est certainement utile, quoique la méthode méprisante et culpabilisante me semble douteuse. Mais où et quand s’arrêter ?
Ou bien est-ce que Téchiné a souhaité provoquer, comme Houellebecq dans Soumission