Me parler de Predator, c'est un peu remonter vers ce qui fait les bons souvenirs culturels de mon enfance : saga culte animant de nombreux week-ends pluvieux, au côté de terminators et d'autres stormtroopers, ce qui était à l'époque une duologie constituait un exutoire où leçon sur la nature et violence cachée se mêlaient au sein de divertissements bourrinés et efficaces, qui cachaient bien le jeu de leur réflexion profonde (en tout cas, pour le premier film).
A l'annonce de Predators, et suite au désastre du combo Alien vs Predator, l'espoir revint; au final, c'était sympa sans casser deux dreads à un Yautja, petite reprise du premier film qui s'approchait plus du reboot/hommage décérébré que de la suite originale qu'il prétendait être. Sans personnalité, il constituait seulement un spectacle sans prise de tête qui détendait sans prétention; beaucoup de "sans" pour un max de "sang" censuré.
Quelques années plus tard, Shane Black (le bigleux comique insupportable du premier film) annonçait s'occuper d'une nouvelle suite; bond de joie, attente fébrile. Sortie en salles, massacre sur la place publique. The Predator divise légèrement, protégé par une poignée de fidèles qui, face à la daube blockbusturienne actuelle, y trouvent les qualités propres aux actioners bourrins d'antan.
Bien entendu, The Predator s'accompagne de nombreux défauts; pour se frapper un tel accueil général, forcément qu'il est imparfait. La faute revient principalement à la Fox qui, pratiquant autant le découpage en règle que la Warner (Suicide Squad) ou Sony (Venom), provoque dès l'introduction des problèmes de montage, de rythme (heureusement corrigés par la suite) et d'incohérences qui, par contre, auront une place importante dans tout le développement de l'intrigue, phagocytant certainement une oeuvre qui n'avait pas besoin de défauts si majeurs pour se faire pilonner par une foule de fans en éruption.
On relèvera aussi une fâcheuse tendance à se réfugier derrière la facilité scénaristique de base ou le Deus Ex Machina le plus bâtard, justifiant, sûrement par la faute de nombreux cuts, la venue salvatrice de personnages en expliquant rarement le pourquoi du comment. A cela, Shane Black n'apporte que peu d'importance, justifiant presque ses défauts d'écriture par son côté actionner bourrin tout droit sorti des années 80, avec les qualités et les mêmes défauts que les films d'avant.
Parfaitement jouissif, il tient en point d'honneur le fait de divertir son public sans se prendre la tête, un peu comme un Predator 2 dont il est finalement très proche (autant dans sa violence frontale que pour ses personnages caricaturaux et ultra-violents), bien plus que du premier pour lequel il multiplie les références sans jamais vraiment chercher à le copier (là où Predators avait lamentablement échoué).
Synthèse pertinente de tout ce qui a pu être fait dans la saga, avec un maximum de références plus ou moins faciles à relever, The Predator se présente comme l'évolution de la bête autant dans le design de sa créature que pour le résumé des codes de la saga qu'il met en oeuvre tout le long. Jamais trop facile, jamais trop lourd, il multiplie les easter eggs sans balancer trop de clins d'oeil forcés, met en exergue les codes spécifiques du Predator pour mieux les détourner, les modifier, se les approprier.
Et si l'évolution de l'alien se traduit par un "bigger, stronger, faster" des plus banals (suffit de voir Aliens, Underworld : Nouvelle ère, Terminator : Genisys), celle de la saga se caractérise par une réunion talentueuse entre suspens, action et comédie, chose que seul un réalisateur/scénariste de la trempe de Black pouvait mettre en oeuvre (on aurait aussi pu engager Guy Ritchie ou Matthew Vaughn).
Une approche qui aura divisé la foule en deux comme Moïse séparant l'eau; encore fallait-il ne pas oublier qui est Shane Black et, en allant le voir, ne pas s'attendre à un film d'horreur/thriller de la trempe sérieuse que pouvait arborer l'oeuvre originelle. Forcément que l'humour allait y avoir une grande place, que l'action se mêlerait à l'absurde; la faute n'est donc pas à asséner à Black, plus aux attentes de spectateurs pas assez renseignés sur l'artiste en charge du projet.
On pourrait reprocher pareil ton s'il n'était pas parfaitement menés; des mieux dosés, les notes d'humour parviennent à mêler avec une minutie saisissante humour hilarant et scènes de tension hérissantes (la scène du stade est un modèle de rires aux éclats et de peur pour les personnages). Sûrement que son côté comique ne plaira pas, mais en s'y attendant, il est impossible d'être déçu (la scène des tableaux ne me fera pas mentir).
Et de cet humour découle sûrement la plus belle qualité du Predator de Black : son côté subversif assumé, qui par une stupidité tout droit héritée d'un Snatch ou d'un Man from U.N.C.L.E., nous balance un flot d'insultes et de giclées de sang débordant, sans jamais être lourd ou rébarbatif. Il y a quelque chose de fascinant dans la maîtrise du long-métrage qui serait sûrement passé, entre les mains d'un autre réalisateur/scénariste, pour le dernier des nanars vulgaires et faciles.
Il n'y a jamais de cela ici, l'oeuvre manageant son spectateur jusqu'à la dernière demi-heure du film, passage Predatorien enfin attendu; car si la première heure et quelques servira au développement des personnages, de la menace et du nouvel univers de Black, la fin contentera les fans de la saga en reste jusqu'ici de sensations vraiment fortes.
Fort de ses enjeux prenants (l'alchimie entre les personnages est très bien travaillée, notamment la relation père/fils touchante), The Predator ne suit pas les mêmes tares que nombre de films de super-héros actuels, à sacrifier le drame sur l'autel de l'humour béat. Spectaculaire et sanguinolent (quelques effets spéciaux restent à peaufiner, mais rien de grave), il apporte énormément à la saga, notamment en complexité et en ambitions pour de futurs films, le tout en constituant le divertissement le plus jouissif depuis des années (sûrement depuis John Wick ou Mad Max : Fury Road).
Un film décérébré paradoxalement intelligent, qui manage ses effets pour ne pas les utiliser à l'excès, et bourré de punchlines en voie d'être cultes. Chaque scène reste en tête, l'oeuvre marque par les nombreuses choses qu'elle tente et réussit, et l'ennui n'est jamais présent. Que demander de plus, si ce n'est une suite qui va encore plus loin dans le délire, mélangeant cette fois l'horreur à l'humour? On en veut encore !