Ready Player One, le nouveau film de Steven Spielberg, oscille entre dystopie, le pire de notre avenir, et anticipation, un avenir raisonnablement probable si l’on considère le monde présent comme une succession de paramètres qui construisent notre aveni
L’action de Ready Player One se déroule en 2045. Or, malheureusement, dans cet avenir, l’humanité ne semble pas avoir réussi à relever les défis de notre présent : enjeux climatiques, réduction de la pauvreté, société de surconsommation, production durable d’énergie … Enfin, un défi semble bien avoir été résolu : celui de la question des futurs rapports entre l’humanité et l’IA (les multiples avatars qu’elle pourrait prendre) au risque d’une aliénation de l’humanité… Dans Ready Player One, point de Singularité (émergence d’une intelligence artificielle consciente et autonome… quoiqu’à bien y réfléchir…), pas plus de robots, juste l’OASIS : un monde persistant qui s’est développé dans le cyber-espace, une société virtuelle dans laquelle tout le monde se rend pour échapper à la violence du quotidien… pour y être celle ou celui qu’on ne sera jamais dans nos vie réelles. un “Second Life� puissance 10 !
Plongé dans le monde virtuel de l’OASIS, le spectateur peut s’amuser à repérer les références à la pop culture des 50 dernière années, références égrenées tout au long du film. C’est la DeLorean de Retour vers le futur, c’est la moto du manga Akira (adapté au cinéma en 1991), ce sont les mentions d’une foultitudes de jeux qui ont marqué l’histoire du jeu vidéo… on plonge dans les couloirs de l’hôtel du film Shinning… même le souffle du dragon de Merlin, dans le film Excalibur de John Boorman, y trouve sa place : Hannal nathrar, ourwassbethud, doriel diembhe ! La pop culture ne serait-elle pas le terreau de la société de demain ?
Par ailleurs, si on ne s’étonne plus de voir, dans les rues de notre présent, une majorité de personnes utiliser en permanence leur smartphone, on s’étonnera pas plus de voir, dans les rues du 2045 de Ready Player One, la plupart des passants avec un masque de réalité virtuelle devant les yeux… Ce constat posant la question de l’articulation du monde virtuel, l’Oasis, avec le monde réel. Alors, le monde réel qui est le nôtre est-il condamné à l’infection virale du virtuel ? A la fin du film, les héros proposent d’imposer deux jours par semaine durant lesquels l’OASIS sera débranchée, comme pour inciter les humains à une nouvelle forme de repos dominical, pour redécouvrir une communion humaine, corporelle et tangible. Ces deux jours seront-ils suffisants pour lutter contre l’effet inexorable de manque, d’addiction que l’immersion dans le virtuel pourrait créer ?
Sachant que même dans le monde virtuel, la condition sociales réelle des joueurs aura des impacts dans l’OASIS : il semblerait bien qu’en 2045, tout le monde ne puisse pas se payer la super combinaison d’immersion sensoriel (et tactile : l’entrejambe de Nolan Sorrento, le méchant du film, s’en souvient encore !)… tant et si bien que les “simples� masques de réalité virtuelle ont vraisemblablement de beaux jours devant eux ! Peut-être pourra-t-on leur ajouter des capacités de proprioception (détecter les mouvements du corps et la position ses membres) ou même la détection de commandes mentales…
On pourrait aussi se demander comment articuler l’économie virtuelle avec l’économie réelle. Les crypto-monnaies (Bitcoin et autres) pourraient-elles devenir la monnaie de change entre un monde virtuel persistant et les monnaies sonnantes et trébuchantes ? A moins que celles-ci aient définitivement disparues au profit d’un avatar virtuel (le CryptEuro, le eDollar, le BitYen ?), le monde réel et le monde virtuel n’étant plus qu’une seule et même réalité… en attendant la prochaine crise elle aussi économique, déclenchée par l’usage intempestif d’un vieux sort qui aurait la funeste capacité de remettre à zéro tous les comptes…
Dans Ready Player One, le spectateur est témoins de la lutte de jeunes héros idéalistes confrontée à une tentative d’hégémonie capitaliste qui a pour seul but la rémunération de son actionnariat, dixit Nolan Sorrento, le méchant du film qui cherche à prendre le contrôle de l’OASIS. Mais, si l’OASIS a un poid économique mesurable dans l’économie réel, tout le monde s’y rend sous une identité factice, chacun apparaissant dans le monde persistant sous l’apparence la plus en adéquation avec les souhaits les plus profonds de chacun, aspirations exprimées ou non. Dans l’OASIS, point de gravité, de physiologie, de génétique… juste une aire de jeu dans laquelle toutes les hybridations sont possibles… sans créer, maintenir, révéler les liens entre avatars et personnes physiques dans le monde réel… un anonymat à l’inverse de la tendance actuelle qui incite les internautes à naviguer et communiquer sous leur vraies identités… les réseaux sociaux ayant en plus inventé la certification d’identité !
Alors, dans un monde ayant été incapable de s’engager sur la voie d’un développement durablement, l’OASIS de Ready Player One est-elle une forme d’avenir massivement multi-joueurs souhaitable pour notre monde, en offrant à chacun une nouvelle chance loin des contingences matérielles — dans ce cas le film est une anticipation — à moins que l’immersion dans la virtualité, annulant toute distance physique et donc psychologique entre le média et le spectateur/joueur, ne fasse porter à l’humanité le risque d’une noyade, arrachant aux cendres du passé le destin de Narcisse, héro d’un mythe étrangement d’actualité ?
La version vidéo de cette chronique : http://www.futurhebdo.fr/ce-que-ready-player-one-nous-dit-sur-demain/