Shane Black a fait ses armes à Hollywood en tant que scénariste, étant l’auteur d’un bon nombre de films devenus cultes comme Lethal Weapon, Last Action Hero ou encore The Last Boy Scout. Des films de fin des années 80, début des années 90 qui ont clairement marqué le cinéma et qui se sont posés comme les maîtres étalons du « buddy movie« , genre dont Black s’impose comme le père. Il passe pour la première fois à la réalisation avec Kiss Kiss Bang Bang en 2005, un film néo-noir pulp et totalement jouissif qui malgré un échec au box-office avait séduit le public et la critique, gagnant un statut de film culte. Après ça, le cinéaste fut plus discret avant de revenir au commande d’un film de studio à gros budget, se voyant confié l’écriture et la réalisation de Iron Man 3 en 2013. Un film imparfait mais symptomatique du cinéma de Black, qui replaçait ses obsessions pour les duos improbables et les situations anti-climatiques, préférant déjouer les intrigues par l’humour. Suite à ce succès, il revient avec The Nice Guys, son troisième film, qui a pour ambition de s’imposer comme la suite spirituelle de son premier long métrage tout en ayant la promesse d’être à la fois un retour flamboyant du « buddy movie » et probablement le film le plus cool de l’année.
Il ne faut pas longtemps au film pour nous signifier que l’on est dans un scénario écrit par Shane Black. Tout transpire son style dès la première scène qui véhicule son humour en total décalage, tout en étant d’une humanité tangible et en n’ayant pas peur de la violence frontale. Car souvent, lorsqu’un film s’impose par une envie de faire du cool, un certain manque d’authenticité peut se dégager de se processus, sauf qu’avec ce cinéaste on a affaire à des films qui ont du cœur, qui nous font nous attacher à leurs personnages et qui ne prennent pas leur spectateur à la légère. Ici, il nous présente son duo de personnages avec humour mais aussi sincérité, le rendant en l’espace de quelques minutes totalement unique et plaisant à suivre. Il y a toujours chez Black cette envie de partir d’un archétype pour l’emmener dans une direction inattendu, pour déjouer les clichés et les facilités. Ici, même si l’on pourrait croire que les personnages sont légèrement stéréotypés, on se rend compte assez vite que c’est un artifice assez habile pour nous surprendre dans leur traitement. A l’image de la relation père-fille d’un des héros, où sa fille a une place centrale au sein du récit sans que l’on tombe dans les travers qu’un autre thriller aurait pu en faire. Elle ne sert ni au côté sentimental de l’histoire, et elle n’est pas là pour être la fille qui se fait kidnapper pour jouer sur un ressort dramatique. Elle évolue au même rang que les deux héros, apporte de l’humour et surtout se montre suffisamment développée pour être intéressante à suivre et apporter un vrai plus à l’ensemble.
L’intrigue est très bien ficelée et ne tombe pas dans une simplification lourde et agaçante, ici l’aspect film noir et totalement assumé et on n’hésite pas à nous perdre dans une conspiration tentaculaire où les deux héros pataugent. Surtout que ce ne sont pas des lumières et Black prend un malin plaisir à les malmener et à les prendre toujours en dérision. Le duo fonctionne à merveille, ils sont autant différents que complémentaires et ont des réactions vraiment originales et rafraîchissantes pour ce genre de film. Chaque situation a sa propre personnalité, notamment grâce à un travail sur les dialogues absolument exemplaire, il y a un vrai sens de la réplique et de la recherche du bon mot pour faire rire. On passe par toutes sortes de changements de tons, le tout plongeant parfois dans le loufoque, la gravité et faisant même un détour dans le stoner movie mais tout en gardant une homogénéité constante. Même si il faut reconnaître que Black se sert de quelques facilités pour aller d’un point A à un point B lorsqu’il sort une scène d’hallucination un peu de nulle part. La scène en elle-même fonctionne mais elle est mal placée au sein de l’oeuvre. Et on pourra aussi regretter un retournement de situation un peu trop prévisible lors du dernier tiers mais c’est presque du détail face à la maîtrise narrative de l’ensemble. Le film parvient même à accomplir l’exploit rare de faire cohabiter l’humour et les enjeux dramatiques. Car il plonge souvent son spectateur dans l’hilarité, mais ne lui fait pas prendre les enjeux de l’histoire en le mettant face à l’incompétence de ses héros. N’hésitant pas à leur envoyer en pleine face leurs échecs et l’ampleur de ceux-ci. Une vraie prise de risque se dégage de ce procédé.
The Nice Guys bénéficie aussi d’un excellent casting. L’alchimie entre Russell Crowe et Ryan Gosling est plus qu’évidente et il est clair que les deux acteurs prennent un immense plaisir à jouer ces rôles. Russell Crowe, toujours aussi charismatique, est impeccable dans ce rôle de brute au grand cœur assurant dans les scènes d’actions mais aussi dans l’humour, montrant une facette comique dont on n’a pas l’habitude le concernant. Cependant il se fait voler la vedette par Ryan Gosling qui est ici prodigieux et qui fait éclater l’excellence de son talent comique. Toujours dans la justesse, il n’en fait jamais trop et évite le cabotinage pour offrir une performance hilarante et mémorable. On regrette par contre la sous-exploitation de Kim Basinger ou encore de Matthew Bomer, très bon et inquiétant en bad guy mais légèrement effacé. Néanmoins on retiendra aussi Angourie Rice, qui incarne la fille du personnage de Gosling, qui est géniale et qui ne se fait jamais écraser par les pointures qui lui donnent la réplique. Une jeune actrice à suivre de près.
La réalisation est superbe avec sa photographie léchée qui magnifie une reconstitution d’époque minutieuse et convaincante. Le film est imprégné dans une ambiance seventies des plus appréciables, aidée par une bande originale inspirée et une sélection musicale « évidente » – les musiques marquantes des années 70 – mais efficace. Le montage est virtuose, permettant un rythme soutenu qui ne connait aucun temps mort mais aussi une gestion du découpage millimétrée à la perfection qui offre des gags visuels mémorables et des scènes d’actions lisibles. La mise en scène de Shane Black est classieuse et viscérale. Il montre la violence et la nudité sans détour, parfois peut être de façon un peu gratuite mais il aime s’imposer comme le sale gosse d’Hollywood. Il y a une sorte d’irrévérence qui traverse le film dans la manière d’aborder les scènes tantôt de manière nonchalante, tantôt de manière énervée au sein de « morceaux de bravoures » maîtrisés et brutaux. Les mouvements de caméras sont fluides et amples, Black ayant une manière de filmer très aérienne dans ses transitions, mais reste quand même dans quelque chose de très classique. Le cinéaste est plus un scénariste de talent qu’un véritable esthète, mais il sait mettre le visuel au service de son histoire et à ce niveau le travail est impeccable.
En conclusion The Nice Guys est un excellent film. Une suite spirituelle à Kiss Kiss Bang Bang où Shane Black rejoue ses classiques tout en parvenant à les renouveler avec virtuosité. Plus drôle, mieux rythmé et plus dense que tout ce qu’il a fait auparavant, tout en gardant l’intelligence et l’irrévérence de sa plume intactes, le cinéaste signe probablement sa meilleure oeuvre à ce jour. Hilarante, formidablement jouée et mis en scène avec soin, rares sont les reproches à faire au film qui s’impose déjà avec un fort potentiel culte. Un divertissement pulp qui sait aussi se faire plus réfléchi et qui arrive à distiller un vrai propos sur l’Amérique et ses dérives, parvenant à conjuguer humour et noirceur sans manquer de cœur. Probablement un des films les plus cool de ces dix dernières années et assurément un grand moment dont on ne devrait pas se priver.