Pour ne pas avoir vu « W », la seule expérience que j’avais jusqu’à présent d’Oliver Stone traitant de l’actualité c’était « World Trade Center ». Vous comprendrez du coup certainement pourquoi je n’étais pas forcément optimiste en allant voir ce « Snowden »… Pourtant, s’il y a bien un terme que je ne pensais pas utiliser pour décrire ce film là, c’est bien celui de « malaisant ». (Oui ça existe : c’est québécois !) Bah oui, ce « Snowden » paradoxalement, il m’a refilé un sacré malaise, du début jusqu’à la fin. Et pour le coup, s’il y a bien quelque-chose à blâmer par rapport à ça, ce sont les choix formels de l’ami Oliver Stone. Pour moi, l’affaire Snowden c’est un cas d’actualité ; un cas finalement déjà très illustré visuellement, notamment au cinéma avec le documentaire « Citizenfour ». Du coup, à mes yeux, et cela pourra paraître bête à dire, mais, face à un tel cas de figure, déjà bien ancré visuellement dans les esprits, je trouve que le choix d’un visuel épuré, ou du moins très proche de celui du reportage télé, s’impose presque inévitablement… Or, à adopter un visuel très ancré dans les codes de la fable américaine, avec tous ses clichés de mise en scène grossiers, je trouve que le film créé une drôle de sensation d’irréalité qui dessert totalement son propos. Déjà, le fait de commencer par la rencontre entre Snowden et les journalistes, je trouve ça super-maladroit. Oser confronter tout de suite les images qu’on a tous vu à cette imagerie factice de production U.-S., ça se fait forcément au détriment du film qui passe pour une vieille reconstitution Disney World au regard de l’image qu’on a du réel … Et puis il y a cette façon si hollywoodienne de présenter le personnage (
façon qui se traduit par un gars qui débarque le visage hors-champ, un rubik's cube qu’il manipule comme un beau-gosse à une seule main. Ça fait vraiment l’entrée théâtrale du héros trop balaise, musique surfaite à la clef !
) : cette seule entrée en scène du personnage, elle traduit finalement tout ce qui m’a dérangé dans la démarche du film. C’est vrai que c’est la classe de présenter Snowden comme ça… Mais c’est tellement surfait, artificiel et codifié, que ce genre de présentation ne PEUT être utilisé pour un personnage réel ; encore plus pour un personnage réel qui existe encore fraîchement dans les esprits ! Moi, cette démarche là, elle m’a fait aborder tout le film avec ce même sentiment et cette même question. A chaque scène, je me disais : « Et ça, qu’est-ce que je dois en tirer ? » D’un côté la scène fait totalement refaite pour correspondre aux enjeux d’un thriller lambda, de l’autre on nous dit qu’on nous parle d’Edward Snowden. Et moi, dans mon cerveau, ça ne matche pas. Ça ne matche jamais même. D’un côté je n’arrive pas à me dire que je m’informe sur l’affaire Snowden avec ce film tant tout fait bien trop artificialisé, codifié, caricaturé… D’un autre côté, je ne peux pas profiter d’une histoire qui, somme toute, est parfois pas trop mal ficelée, parce que je me dis en permanence que je n’ai pas affaire à n’importe quelle intrigue : j’ai affaire au film sur Snowden et je n’arrive pas à me déconnecter de l’image que je me fais de ce gars là ! Et c’est vraiment con, parce qu’il y a quand même des trucs qui sont tentés. Que Stone profite de l’intrigue pour développer tout un argumentaire sur le pour et le contre concernant cette question brûlante du renseignement, franchement, pourquoi pas. Après tout, c’est tout l’intérêt d’avoir une histoire romancée plutôt qu’un simple documentaire : on a un regard, une interprétation, un propos… De la même manière, dans tout ce patchwork de mise en scène bien codifiée, il y a quand même quelques idées formelles qui fonctionnent pas mal (
Je pense notamment à cette scène où Snowden parle à son supérieur projeté démesurément sur un mur : le ressenti fonctionne très bien je trouve
). Mais c’est juste triste qu’au final, la seule idée que je retienne, c’est que ce méli-mélo ressemble avant tout à un drôle de patchwork d’images et de situations clichées à base de jolis visuels emblématiques, de belle histoire d’amour mises en balance, ou bien encore de surlignements musicaux absolument abusés. D’ailleurs, en cela, le casting n’aide pas. Nicolas Cage pour jouer un second rôle inaperçu ? Sérieux ? Son apparition, on croirait plus une blague qu’un rôle ! Et puis Shailene Woodley pour jouer le rôle de la petite amie ? Alors attention : je ne remets absolument pas en cause le talent de l’actrice. Je dis juste que cette fille est tellement identifiée à un style de rôle que forcément ça déteint sur ma façon de percevoir l’intrigue amoureuse. Et l’identification est d’autant plus trompeuse pour le spectateur quand en plus de ça le film se décide derrière d’user de ces mêmes codes qui correspondent aux soupes hollywoodiennes dans lesquels on les a vu ! Non mais franchement ! Comment voulez-vous que je prenne au sérieux cette intrigue quand je vois le Tom de « (500) jours ensemble » filer la belle amourette avec « Miss Divergente », le tout sous le regard complice de Benjamin Gates, mais aussi sous la surveillance malsaine d’un chroniqueur pirate de « Good Morning England » ?! Non mais c’est vraiment dommage ce film parce que, prises séparément, il y a de bonnes composantes là-dedans, mais mélangées avec toutes les autres guimauveries, et tout cela selon une logique totalement absurde, ça donne un patchwork informe dont on ne sait ce qu’il faut vraiment en tirer… Surtout qu’en plus, pour couronner le tout, il faut que le film se conclut sur une véritable iconisation du héros ! Comme l’ensemble n’était pas suffisamment scabreux formellement et intellectuellement, il a fallu que le film se conclut en hagiographie (
…et avec apparition du vrai Snowden par-dessus le marché ! Ça veut donc dire que le gars a été au courant du film qu’on allait faire sur lui ? Et il a laissé faire ça ? Enfin bon…
) Bref, tout ça pour dire que ça m’étonne qu’au final, ce soit un film comme « Snowden » qui m’ait refilé l’un des plus gros malaises filmiques de l’année. Drôle de choix ; drôle de casting, drôle de forme, drôle de propos… Rien ne colle vraiment et je ne suis pas sûr qu’à l’avenir, quand cette histoire s’éloignera de nos esprits, ce film en sorte grandi… Pas de quoi se réjouir en somme, et malheureusement, ces dernières décennies, ça devient une habitudes avec Oliver Stone… Triste quand même…