Oliver Stone est un habitué des sujets sensibles, « Snowden » n’est ni son premier film polémique engagé, ni son premier biopic. Et en s’attaquant à un sujet si complexe, il se met lui-même dans la position de produire un film difficile d’accès et un peu hermétique. Même si je lui reconnais un vrai courage et un vrai savoir faire, l’éceuil n’est pas complètement évité et je le dis d’emblée, son film à deux défauts : il est un peu trop long et malgré tout les efforts de Stone et de son scénariste Kieran Fitzgerald, il est quand même difficile à comprendre. Il est trop long d’au moins 20 mn, et c’est un défaut habituel chez Oliver Stone. Très conscient de l’importance de ce qu’il filme, il a du mal à élaguer, il tire en longueur, il n’arrive pas à éviter certaines scènes trop longues, ou trop bavardes. Son film dure 2h15, il parait en faire nettement plus et ça, ça n’est jamais bon signe ! Et puis le film tente de nous faire entrer dans un système très compliqué d’espionnage de données et on finit, même en s’accorchant, à s’emmêler un peu entre les différentes agences gouvernementales et leur ramifications. Mais Oliver Stone n’est pas le premier venu, il sait utiliser le montage pour mettre son histoire en valeur, il sait placer sa musique, mettre du suspens quand il faut, de la gravité quand il faut, et même un peu d’humour parfois. Il évite au maximum les dialogues un peu pontifiants et sentencieux alors que sur ce sujet, c’est quand même très tentant de faire la morale à peu de frais. Son passage sur Nuremberg est court mais remet en persective toute la problématique de son sujet, efficace. Son casting est sans fausse note et il offre à Joseph Gordon-Lewitt un rôle d’importance que cet acteur (encore trop inexploité à mon gout) incarne avec beaucoup d’humilité et de sobriété. Autour de lui, Shailene Woodley, Melissa Léo, Zachary Quintow et tous les autres sont très biens mais il faut reconnaitre que « Snowden » compte tellement de seconds et de petits rôles qu’il est impossible pour eux de livrer une interprétation exceptionnelle, parce qu’à part Shailene Woodley, ils n’ont tout simplement pas assez de temps à l’écran pour le faire. Comme je l’ai dit, le scénario essaie de nous faire comprendre, sans y parvenir pleinement, l’importance de l’espionnage de masse mis en place par les Etats-Unis au lendemain du 11 septembre. Si techniquement, malgré quelques louables démonstrations, c’est assez compliqué à saisir, philosophiquement en revanche, on comprend très bien le but recherché par Oliver Stone. Sur ce point, la démonstration est claire : Mis en cause (et à juste titre) après le fiasco du renseignement dans les attentats de 2001, la CIA, la NSA et l’ensemble des organisations fédérales ont décidé qu’on ne les y reprendrait plus. Au départ, et énoncé ainsi, les choses semblent couler de source : Ils ont recruté, formé et mis des moyens techniques et financiers colossaux pour monter des programmes de surveillance électroniques. Dans une démocratie normale les choses auraient du en rester là, mais la machine était lancée. Stone nous montre une Amérique enivrée de sa propre puissance technologique et guidée par une paranoïa (justifiée ou injustifiée) qui les amènera à espionner tout azimut le monde entier et leur propres citoyens. Très vite, il n’est plus question de lutte anti terroriste mais d’une surveillance générale et totale utilisée pour tout et n’importe quoi : favoriser des contrats économiques, déstabiliser des pays ennemis, surveiller des pays amis (mais qui pourraient devenir des ennemis un jour, sait on jamais… !), contrer les hacking, espionner pour espionner, en somme. Comme si les moyens techniques avaient pris plus d’importance que le but à atteindre : on espionne parce qu’on peut le faire, on est à la limite du voyeurisme d’Etat. Le politique, dans tout ça, n’est pas épargné. Le législatif, en revanche, semble soigneusement tenu à l’écart et, si j’ai bien tout compris, le Congrès et le Sénat américain n’avaient aucune idée précise de ce qui se passait et « on » a tout fait pour ça, y compris mentir en commission d’enquête (le crime fédéral suprême !). Le scénario de Stone et Fitzgerald nous montre un jeune homme très patriote, probablement républicain bon teint, fils de militaire, qui, choqué de voir jour après jour son pays se fourvoyer, décide qu’il est de son devoir de citoyen que de le dénoncer. Ca ne vous rappelle rien ? C’est exactement le même cheminement moral que Kovic, le héros de « Né un 4 juillet ». Le contexte est différent mais la morale est la même : quand ton pays te fait honte, c’est ton devoir que de le dire haut et fort, même si c’est difficile, parce que c’est difficile même… De ce point de vue, « Snowden » montre assez clairement l’évolution d’un jeune homme, au départ patriote aveugle, à l’arrivée patriote clairvoyant.
Dans les 5 dernières minutes du film, Joseph Gordon-Lewitt cède son rôle au vrai Edward Snowden, qu’Oliver Stone est allé filmer dans son exil forcé en Russie. Un petit pied de nez à l’Amérique comme il aime en faire de temps en temps, le petit malin…