Ah Cannes… Cinquante nuances de la même blague, qui se répète sans cesse, à l’infini… Ça m’amuserait sûrement si ça ne m’attristait pas à ce point. Donc cette « Valley of Love », si j’en suis les critères de Cannes (et de quelques critiques de presse pour les avoir lu depuis), ce serait donc un film qui doit être mis en avant, comme une incarnation du cinéma moderne ; une piste intéressante de septième art qui mérite d’être connue et suivie ? Intrigant… Je note. Donc passer une heure et demie avec un face-à-face dialogué qui se répète sans cesse, ça c’est donc un type de cinéma qui mérite d’être connu et suivi… Ne composer son propos que de petites discussions autour de son petit mal-être bourgeois, du goût du vin, ou de ses remords par rapport à la vie passée, ça aussi donc, ça mérite d’être connu et suivi… Brasser de la mélancolie à deux balles sur les tons monocordes d’un duo Huppert / Depardieu accablé par la chaleur, ça aussi alors ça mérite d’être connu et suivi… Fort bien. Je retiens. Mais moi je me pose quand-même quelques petites questions face à un tel spectacle. La première, tout bêtement, porte sur la finalité du film. Mais qu’est-ce que ce « Valley of Love » voulait nous dire ?
Ah le remords c’est tenace ? Ah la mort nous attend tous au tournant ? Ah on restera marqué à jamais par tout ce qu’on n’a pas fait par langueur et paresse ? Juste ça ? Franchement ?
Ça ne fait pas un tout petit peu « redite » dans l’univers du cinéma français ça, non ? Et puis quand même aussi, se pose la question de la manière. Je rappelle que le film dure une heure et demie et – en toute honnêteté – il n’y a pas grand-chose de plus que ce qu’il y avait- dans la bande-annonce. Tous les éléments d’intrigue y étaient là, presque en entier, clairement explicités, à part, peut-être, ceux du dernier quart d’heure. En fait, ce film est une sorte de version « extended » de la bande-annonce, où tous ses composants se retrouvent dilués et répétés à l’infini jusqu’à ce qu’on atteigne la limite fatidique du standard d’exploitation en salles. Symbole d’ailleurs de cette stagnation dans le vide, l’unique composition musicale entendue dans la bande-annonce, l’Unanswerd Question de Charles Ives. On l’entend régulièrement, à espace régulier, sans qu’aucune note ne soit changée, tel un témoin d’une intrigue qui tourne en rond ; d’un propos qui a fait le tour au bout de cinq minutes. Alors j’en entends déjà dire certain « mais c’est fait exprès, c’est pour qu’on ressente encore mieux la perdition de ces personnages, que la mélancolie gagne encore davantage de terrain. Cette musique contribue à poser cet état esprit tellement délicat qui incarne tellement bien la spécificité du cinéma français » Désolé, mais non. Cette musique incarne juste le fait que Guillaume Nicloux a eu une idée d’atmosphère en écoutant cette musique (ou en regardant « La ligne rouge », c'est selon...) et qu’il a été capable de produire cinq minutes de film avec ça, pas plus, et qu’à l’image de ce qui se fait en France, au lieu de creuser la question, de travailler le sentiment, d’explorer la réflexion, il a préféré brasser du vent, broder du creux, mais le tout avec un ton suffisamment arrogant et assuré pour qu’on n’ose pas questionner la pertinence de sa démarche. En cela, Isabelle Huppert s’est révélée une parfaite incarnation de cette entreprise bien vaine. Voilà une actrice au comble de la suffisance, qui par un jeu hautain cherche à donner l’illusion que, dans sa bouche, chaque vide est en fin de compte un plein. Tout chez elle est surfait, surjoué, enrobé à l’extrême, plombant absolument toutes les tentatives de Depardieu à jouer dans la nonchalance et une certaine forme de minimalisme. Pour le coup, le jeu d’Huppert pourrait résumer à lui seul ce qu’est ce film en son entier : une supercherie intellectuelle et cinématographique. Donc, en somme, face à ce genre de film, moi je n’ai plus qu’une envie, dire merci à Guillaume Nicloux qui, avec ce « Valley of Love » vient d’apporter une pierre supplémentaire à la pyramide de mes convictions sur le septième art hexagonal. Encore une fois donc, « merci Guillaume »…