Parmi les cinq films français sélectionnés en compétition officielle à Cannes cette année, Valley of Love de Guillaume Nicloux était certainement le projet le plus intrigant. Son sujet, son tandem d’acteurs et l’ambiance épurée qui se dégageait de la bande-annonce n’en finissaient pas de titiller ma curiosité. Curiosité récompensée par le visionnage d’un bon film teinté toutefois d’une petite dose d’amertume.
Tout commence par ce plan-séquence suivant la fragile silhouette d’Isabelle Huppert avançant vers un hôtel, entourée d’un soleil de plomb. Sans un mot prononcé, avec une sublime musique mélancolique accompagnant la scène avec brio. D’entrée de jeu, nous sommes plongés dans une atmosphère très âpre qui sera à l’image du film entier. Personnellement il s’agit d’un genre d’ambiance auquel j'adhère souvent, un peu à la manière d’un Bruno Dumont qui a le don d’épurer ses films au service de ses personnages et de l'authenticité qu'ils dégagent. Et Valley of Love, c’est à peu près ça.
A peu près seulement, car malheureusement Guillaume Nicloux a tendance à s’embarrasser de détails superflus qui viennent parfois alourdir le récit. Toutes les scènes ne réunissant que Huppert et Depardieu sont très belles car simples et justes grâce à un jeu d’acteurs épatant de naturel. On ne peut pas vraiment dire que les deux comédiens jouent un rôle d’ailleurs tant ils dégagent l’impression d’être leurs propres personnes. Impression qui se confirmera dans le récit par la suite de façon un peu lourde et inutile hélas. Et c’est là le problème de Nicloux, c’est qu’il en fait trop alors que la beauté simple du sujet de base et des interactions entre les protagonistes est suffisante. Il n'y avait pas besoin d’en rajouter.
Enfin quoiqu’il en soit, ces deux personnages, amants d’autrefois, sont plaisants à suivre dans leur quête de réponses face au mystère qui entoure le décès de leur fils et ces fameuses lettres qui semblent avoir été envoyées de l'au-delà. L’authenticité du jeu des interprètes, au risque de me répéter, y fait vraiment beaucoup. Isabelle Huppert est toujours aussi belle malgré les inévitables traits de l’âge tandis que Depardieu est là, massif, plus ogre que jamais, et semblant pourtant si fragile et si humain. C’est ce qui est touchant aussi dans la mise en scène de Nicloux, cette pudeur dans l’art de filmer ces corps sacrifiés par l’âge et de les sublimer en les filmant tels quels, parce qu'ils sont vrais. Le cinéaste excelle aussi dans l’art de filmer les non-dits et de les rendre aussi intenses. Après les scènes plus spirituelles et abstraites fonctionnent un peu moins, sont trop ancrées dans le réel pour vraiment détoner malgré les (bonnes) idées de base.
Les scènes dialoguées restent aussi très intéressantes grâce au ton naturel des conversations. C’est un film qui fait preuve d’une belle qualité d’écriture à ce niveau-là. Quelques scènes sont d’ailleurs particulièrement prenantes, je pense à celles où chaque parent lit la lettre de leur fils défunt et à l’émotion particulièrement saisissante qui en dégage. Ces séquences sont d’ailleurs assez bien dosées, sans pathos et n'écrasent pas le récit. Après c’est tout de même dommage que le film manque de scènes de cette intensité sur toute sa longueur.
Le cadre du film est aussi un élément-clé du récit. Cette vallée de la mort écrase ses personnages par la chaleur et nous aussi par la même occasion, rares sont les ambiances aussi bien rendues au cinéma. L’épuisement de Depardieu semble tellement réel. Le rythme du film contribue également efficacement à cette ambiance bien qu’il soit toutefois peu propice aux fulgurances et qu’il puisse parfois manquer de fluidité. Je pense à la séquence dans le bar avec les deux touristes qui vient couper la tension de la relation Huppert-Depardieu à cause d'une tonalité de la scène en décalage avec l’atmosphère développée jusque là.
Mais le lieu reste avant tout hautement symbolique. Ces paysages désolés semblent représenter la frontière entre la vie et la mort et on y croit finalement à la possibilité d'une rencontre surnaturelle ou spirituelle. Valley of Love est un film qui évoque aussi beaucoup de choses mine de rien. Sur ce sentiment de culpabilité mêlé à l’incompréhension qui ronge une personne, sur l’épreuve d’un deuil qui ne peut réellement commencer, sur la complexité de l'amour. D’où un ton très nostalgique et mélancolique qui peut tout aussi bien fasciner que déprimer. En tout cas j’étais happé par cet ensemble grâce à la simplicité de l’intrigue et du suspense qui en découle. Difficile de décrocher pour ma part tant l’envie de savoir si leur fils réapparaîtra ou pas est forte. J'y croyais.
Je me retrouve donc avec un avis plutôt partagé sur ce film qui m’a tout de même plutôt convaincu dans son ensemble malgré ses quelques défauts. Et je conseille volontiers l’expérience en tout cas car Valley of Love a tout de même de belles qualités à faire valoir et quelque chose d’unique à nous proposer. Un peu à la manière d’un voyage initiatique qui peut tous nous concerner dans ces épreuves de la vie qui nous prennent parfois au dépourvu et nous perdent. Un film qui m’a un peu déçu mais qui m’a cependant parlé d’une certaine manière, Valley of Love est un objet fascinant qui mérite le détour.