Guillaume Nicloux a, avec ce film, tenté un pari fort risqué, faire une œuvre dont le personnage principal est absent, sorte d’Arlésienne dans la Sierra Nevada. Qui plus est, loin de rassembler une foultitude d’acteurs, il ose la difficulté en réunissant deux des monstres sacrés de l’écran français qui n’avaient plus joué ensemble depuis trente-cinq ans, dans Loulou de Maurice Pialat, Isabelle Huppert et Gérard Depardieu. Autour d’eux, trois seconds rôles, Dan Warner, Paul et sa femme, Aurélia Thierrée, ainsi que le concierge d’un motel et quelques figurants. Pourtant, dans cet immense espace désertique de l’Ouest américain aussi vaste que l’Ile de France, ce n’est pas la place qui manque. Mais le dernier acteur, nécessaire, incontournable, le parc lui-même, y eut perdu son immensité.
On saluera la performance de ces deux acteurs qui interprètent magistralement bien, de façon crédible, un homme et une femme, ancien couple de longue date séparé, père et mère éplorés par la mort aussi brutale qu’inexplicable de leur fils unique. Or, ce fils unique disparu leur demande un effort de retrouvailles, les implore de lui faire une aveugle confiance, leur impose comme catharsis de se parler afin de revivre les déchirures de leur divorce, de leur départ et du départ de leur fils. Cette pénitence avant absolution, ils la vivront dans cet enfer de solitude, dans ce four à l’infernale chaleur, par un huis-clos imposé dans l’immensité du désert. Ils deviennent pions entre les mains de leur enfant perdu, ils sautent de site remarquable en vue imprenable, morbide tourisme chargé d’une croissante émotion s’accumulant au fur et à mesure des stations d’un calvaire psychologique rapprochant progressivement les parents déroutés. Dans cette évocation subtile du deuil, Isabelle Huppert démontre toute sa sensibilité exacerbée et, en état de grâce, corps monstrueux et amertume cachée, Gérard Depardieu bouscule nos âmes avec une délicatesse certaine.
L’ambition du film est évidente, les prénoms du réalisateur, des personnages, leur enfant est mort, on entre de plain-pied dans une histoire subjuguante, initiatique sur la parentalité, la culpabilité et la spiritualité. Certes, Nicloux joue aisément sur notre imaginaire de spectateur. L'amour, la mort, le deuil et l'illusion, sont au centre de bien de nos préoccupations. Qu’y a-t-il au-delà ? Au départ, ils pensent se retrouver pour faire leur deuil. La lettre leur laisse à croire qu’il se passera quelque chose, mais ils n’y croient guère. Lui est sceptique, elle, argumentant plus que de raison, fait semblant d’y croire, appliquant le précepte de Pascal, mettez-vous à genoux, priez et vous croirez. Mais sous cette armure de foi, elle aussi est envahie par le doute jusqu’à cette nuit où… Ils persévèrent, ils entrent dans le jeu machiavélique tissé par le disparu. Ils se posent des questions, sur lui, sur eux et en viennent à évoquer des raisons, des regrets, des remords, des responsabilités pour, en définitive, s’apercevoir que leur quête d’un mieux n’a été qu’un échec. Lui est de nouveau seul, malade, au bord d’un abîme de souffrances promises, elle en pleine rupture. Leur vie n’aura donc été qu’une suite de naufrages. Ils se raccrochent petit à petit l’un à l’autre, se faisant confiance, avec suspicion, avec des régressions, se retenant à leur lettre comme à une bouée. Leur morbide randonnée endeuillée de parents orphelins de leur enfant obéit aux mortifères injonctions précises d’un démiurge qui doit apparaître. Ils attendent un signe. Jeu magnifique de deux acteurs au sommet de leur art.
Oscillant entre suspens et fantastique, flirtant aux frontières du thriller, ce film est bien loin du film d’action. Ce serait aussi un film d’amour bien particulier dans lequel le réalisateur en explore des facettes inconnues. Amour filial, que ne font-ils pas pour revivre les traces de leur enfant ? Amour entre homme et femme, à l’envers, c’est leur propre sérénade qu’ils vont dérouler, évoquant des souvenirs et réanimant ce qui les a autrefois rapprochés. On sent qu’ils ont été heureux et qu’il suffirait d’un rien pour la petite braise qui rougeoie au fond leur cœur ne devienne un gigantesque brasier. Sur des paroles anodines, convenues parfois, ils redeviennent ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être. Passant de remords en regrets, ils vivent la difficulté de communiquer, la tâche ardue d’être parents et surtout la difficulté de croire à l’impalpable et à l’immatériel, car l’effort que demande le réalisateur au spectateur est le même qu’un enfant sollicite, jour après jour, sans l’exprimer, de ses parents. Croire en lui. Mais, en êtres impies, pour croire, nous voulons un signe.
Film aussi minimaliste que profond, à la mise en scène maîtrisée, il ne manque pas de sujets de réflexions.