Nouvelle adaptation du roman de Patricia Highsmith porté au cinéma cinq ans après sa publication par René Clément (Plein Soleil, 1960), The Talented Mr. Ripley est une œuvre troublante en ce qu’elle échafaude une intrigue pleine de rebondissements dans laquelle se perd son propre instigateur, ledit Ripley, qui explore ainsi ses désirs empêchés et sa sexualité interdite. La première rencontre entre Tom et Meredith, dans le hall d’une gare, oriente initialement le long métrage dans une direction en trompe-l’œil qui pourtant n’aura de cesse de revenir tel un fil d’Ariane apte non pas à guider notre protagoniste principal mais, au contraire, à le perdre davantage encore. Dès le générique d’ouverture, Anthony Minghella fragilise l’image de Matt Damon en la faisant voler en éclats, en la passant sous des filtres de couleurs comme s’il cherchait, par le déguisement, à révéler une réalité cachée ; sa démarche esthétique sera prolongée par un travail sur les surfaces réfléchissantes, comme les miroirs ou la carrosserie de véhicules, symbolisme certes appuyé mais efficace. Il regarde le soleil brûlant de l’Italie tel un accélérateur de particules qui transforme Ripley en avatar magnifique et diabolique de Dickie : le premier adopte progressivement le mode de vie d’un second considéré en frère, en double, suscitant passion dévorante et jalousie meurtrière.
Le jeune premier, envoyé en Europe pour faire retrouver la raison au fils de son employeur, conçoit sa mission comme l’occasion d’un roman d’apprentissage : ce qui ne devait constituer qu’une parenthèse argentée mute en âge d’or de la beauté et de sa quête. Le sourire de Dickie, sa peau bronzée par une exposition régulière, sa coupe de cheveux, sa démarche mêlant la vigueur et la nonchalance des dragueurs, le compte en banque de son père grâce auquel flâner… tout cela est recopié, plagié jusqu’à la folie. Dès lors, les clichés touristiques et romantiques adoptés par la mise en scène servent à construire un décor faux devant lequel jouer une comédie, matérialisé par l’appartement luxueux qu’il loue, « summum du mauvais goût » selon les dires de Freddie Miles. Le long métrage représente avec brio les égarements d’un être incapable d’advenir pour lui-même, piégé par ce kaléidoscope de reflets dans lequel se réfléchissent ces femmes qu’il ne sait pas aimer : deux femmes qu’il confond aisément, l’une apparaissant également comme le double de l’autre – nous percevons ici l’influence du cinéaste Alfred Hitchcock, notamment dans Vertigo (1958). On l’expédie loin, on le tolère, on l’invite, on se confie à lui ; jamais cependant Tom ne dispose d’une place légitime, sinon dans la recomposition artificielle d’un monde aux relations factices. Preuve à l’appui, le réalisateur prend soin de maculer de sang les images idéales qu’il signe : la barque d’abord, la statue antique ensuite, le peignoir blanc enfin.
Ces déchaînements de brutalité, brefs et inattendus, accentuent le désespoir d’un jeune homme qui ne peut ni accepter ni obtenir l’acceptation de son homosexualité : ainsi refoulée, cette dernière transparaît dans la photographie de John Seale qui capte un regard tenu, un geste révélateur, l’air nostalgique d’un visage. La sublime partition musicale de Gabriel Yared construit musicalement la complexité psychologique de Tom par l’entrelacs de motifs et de tonalités variés. Un immense long métrage, interprété à la perfection par quatre acteurs lumineux.