Anthony Minghella, grand réalisateur mésestimé, offre une version trouble, très noire (malgré les clinquants du soleil italien) de la trame du roman de Patricia Highsmith. Il dessine les personnages importants dans toute leur épaisseur psychologique en délaissant un peu la bluette de Tom avec Margie (ce qui différencie, parmi d’autres points de lecture, son film de celui de Clément « Plein soleil » (1960) dont il n’est, évidemment, pas un remake).
Ici le binôme amour/répulsion fonctionne à plein ! Tom n’est pas, comme dans « Plein soleil » dans le simple désir de l’argent, du fric…
Dans le film de Minghella, FONDAMENTALEMENT les situations génèrent le comportement des individus. Particulièrement celui de Tom Ripley emporté comme fétu de paille par le destin sur fond de prédispositions psychologiques (sexualité mal définie, besoin de reconnaissance, complexe d’infériorité)… A situations troubles, comportements troubles.
Tout devrait séparer Tom et Dikie, la fortune, les goûts, la musique, et pourtant se nouent entre eux des liens fusionnels… Fusion perverse et sado/masochiste… Et de la fusion, c’est bien connu découle la confusion donc le drame… C’est là le regard génial du réalisateur. Pas seulement sur le couple Dikie et Tom, mais aussi sur les relations Margie/Dikie, Margie/Tom et plus encore Peter/Tom… Oui le thème ici c’est la confusion des sentiments, dans le sens d’un Losey ou d’un Oshima !
Alors quand je lis dans Libération que le film de Minghella est « chochotte et bourgeois » et « plein à craquer de jazz et d’airs d’opéras » (en écartant les vocables clairement homophobes) sous la plume d’un Olivier Père, j’ai les boules ! Quoi ? Mais ici la musique sous-tend justement l’expression des mondes différents des protagonistes (cf. le commentaire de Minghella dans le DVD) Et c’est par ce biais que le personnage caméléon qu’est Tom s’incruste littéralement dans la vie clinquante d’un très riche « faiseur » hantant boîtes de jazz et festivals… La vie de Dikie, d’ailleurs, ressemble beaucoup, pour ce que j’en sais, à celle des journaleux médiacrâtes, autoproclamés de la « gôôche » ! De la « gôôche caviar » snobinarde et méprisante.
D’ailleurs Minghella joue beaucoup moins sur l’ambiance « dolce vita » que ne le fit autrefois Clément…
Techniquement aussi « Le talentueux Mr Ripley » est parfait … Oui, c’est filmé assez classiquement. Mais la très belle photographie relevée par une BO splendide signée Yared et par des thèmes classiques ou de jazz s’incrustant dans l’action même du film qui me laissent pantois. Croiser Pergolèse et Charles Parker, montrer de vrais musiciens de jazz en action, entendre Matt Damon susurrer le très beau « Valentines » de Chet Baker me sont des délices extatiques !
Alors laissez-vous porter par ce suspense alternant le macabre du crime et le macabre de la vie de carte postale des super-riches. Et vérifiez que la porte de votre cave est bien fermée !