Je mentirai si je disais que "Ma vie avec John F. Donovan" n'était pas ma plus grosse attente cinématographique de l'année. Très sensible et réceptif à ses thèmes et à sa manière bien à lui de raconter des histoires, par le biais de musiques pops et d'images pimpantes, je mettais beaucoup d'espoir sur sa première réalisation américaine, dont j'ai suivi les mésaventures depuis le démarrage du tournage. Espéré au dernier festival de Cannes, contraint de couper tout un personnage de son histoire qui s'avérait trop longue, forçant à restructurer toute sa narration, "Ma vie avec John F. Donovan" a failli ne jamais voir le jour, à l'image d'un film maudit. Quel suspense et quelle excitation, donc, de pouvoir enfin retrouver ce réalisateur qui aboutit ici un travail laborieux et on ne peut plus personnel et référencé à sa propre vie. Lui qui, enfant, avait écrit une lettre à Leonardo DiCaprio, et n'avait jamais eu de réponses, nous transporte dans une histoire similaire où un enfant échange pendant des années des lettres à une star de série américaine.
Bien que similaire aux précédentes oeuvres de Xavier Dolan en plusieurs points, "Ma vie avec John F. Donovan" détonne par son panel de célébrités, son récit éclaté et ses émotions survolées. On y retrouve tout de même la pâte de réalisateur, sa fougue et son perfectionnisme. C'est sans doute son film qui a le plus d'amplitude, qui s'étend sur une panoplie de personnages dispatchés dans différents espace-temps. On ne sait pas trop par où la prendre cette oeuvre et on est quelque peu dérouté par les nombreuses pistes amorcées. L'intrigue prend forme progressivement, à l'image d'un château de carte, impressionnant et laborieux, mais en même temps fragile. On s'attache aux ingrédients fidèles du cinéaste comme ses choix de musiques, ses thèmes de prédilection, ses personnages peaufinés de la tête aux pieds, ses lumières chaudes et maitrisées, ses gros plans voyeurs des plus infimes émotions,... Une fois ces éléments imbriqués, la machine infernale ne semble jamais atteindre son point culminant, n'aboutissant jamais dans les virages émotionnels pourtant si emblématique du cinéma de Dolan. Il faut croire que ce qui faisait son charme auparavant sent ici le réchauffé.
Donc oui, en tant que "fan", je suis vraiment déçu. Il y a une ampleur de moyens, de stars au détriment d'une ampleur des émotions et c'est cet élément qui pêche dans "Ma vie avec John F. Donovan". Pourtant, il y a des beaux moments, notamment avec le tout jeune acteur Jacob Tremblay qui offre les meilleures scènes du long-métrage. Cet enfant qui crie d'excitation devant la télé rappelle avec nostalgie le gosse qui gît en nous. J'en attendais plus de façon générale mais surtout du point de vue des acteurs qui jouent dans la limite du raisonnable. Où sont passées l'électricité, la complexité dans les personnages de Dolan ? Kit Harington m'a paru si lisse, Natalie Portman si effacée et Susan Sarandon si larmoyante que j'avais l'impression qu'ils se contentaient de faire du "Dolan" sans mener leur personnage au bout ! Je trouve ça tellement dommage que toute cette ribambelle de stars passe inaperçue dans des seconds-rôles réflexifs et/ou anecdotiques... Ils ont tous leur moment de lyrisme, d'introspection, confondu dans cette forme trop vaste pour qu'on en saisisse l'essence.
Pour ce qui est de la mise en scène, elle révèle aussi son lot de surprises, notamment avec un montage saccadé, fatiguant et obnubilé par les gros plans. On se perd tellement dans des effets sans queue ni tête qu'on se demande comment ce cher réalisateur, qui monte lui-même ses films, a pu en arriver là. La fluidité est absente, le talent est bazardé, ne reste alors plus qu'une forme grossière aux sentiments difficile à ressentir. Cette histoire de deux destins parallèles, de relations mères-fils douloureuses, de gossip, de célébrité éprouvante, de la force des médias, de modèle et d'enfant ne m'est en fait pas parvenue. Néanmoins, le film pose la question de la conformité et du besoin de se ranger dans un moule, quitte à s'éloigner de ceux qui nous sont chers ainsi que de notre identité. C'est peut-être ça que Dolan a voulu faire, nous surprendre, se surprendre, quitte à en laisser pas mal sur leur faim et leurs attentes. Je pense que cela n'enlève en rien à son génie. Mais la déception est là, car ce destin tragique et cette relation épistolaire, je n'ai fait que les effleurer, les deviner. Malheureusement, pour moi, c'est une belle plantade, mais une plantade qui m'a l'air assumé et reconnu par beaucoup de spectateurs...