Oh la jolie petite surprise que voilà : en temps normal, c'est plutôt en direct-to-dvd qu'on peut découvrir ce genre de péloche, mais il faut croire que le jeune Jérémy Saulnier a remarquablement marqué les esprits avec son très bon "Blue Ruin" il y a deux ans pour que son nouveau "Green Room" soit autant distribué dans les salles. Et le vieux loup de mers des salles obscures que je suis ne va pas cacher sa joie de voir un si bon film sur un grand écran ! Cette fois-ci, Saulnier nous invite à suivre la mésaventure d'un groupe de jeunes punks qui, après un concert, vont être témoins d'un homicide avant de quitter les lieux. Ne souhaitant pas que l'incident s’ébruite et que la police n'intervienne, les propriétaires des lieux vont les enfermer dans une pièce afin de « régler » le problème eux-mêmes. Et oui, nous avons donc ici à faire à un huis clos lorgnant sur le film de siège...mais si vous pensez voir des scènes d'attaques soutenues façon "Assaut" de John Carpenter, vous risquez d'être étonné tant le film serait au final plus proche de l’esprit de "Les Chiens de Paille" de Sam Peckinpah. En effet, Saulnier propose une pellicule rugueuse et très efficace en faisant grimper la tension crescendo et sans jamais la laisser retomber à aucun moment. Il parvient même à jouer la carte de l'horreur sans réellement en faire, évitant ainsi les codes pré-formatés du genre pour garder un aspect réaliste : la violence arrive toujours rapidement sans effets grand-guignolesques au moment où on l'attend le moins. Ces excès de violence soudain sont assez brutaux et deviennent alors des scènes chocs qui secouent le spectateur. De plus, toujours dans un souci de réalisme, tout en étant brutales, les mises à morts sont souvent grotesques et hors champ, laissant notre propre imagination installer une sensation de malaise (l'exemple le plus parlant est
l'attaque du pitbull où l'on voit rien mais dont les bruits de coups de mâchoires et de mastication nous laissent imaginer les pires égorgements et éventrations !
) Dans le même esprit, les personnages ici ne sont pas des héros qui vont se révéler face l'adversité en faisant appel à la virilité et la testostérone cachées en eux ; si un acte héroïque apparaît ici c'est plus une action désespérée que réfléchie, voire carrément un gros coup de bol absolument pas intentionnel. Finalement, cette terrible situation va se révéler pour les protagonistes comme une brusque la fin de l’adolescence suivit immédiatement d'une plongée viscérale dans le monde adulte : les petits punks (et leur philosophie de liberté) vont se heurter à la réalité violente de la société moderne (l’ultra-racisme de leurs agresseurs). Le tout étant mis en scène avec une très grande maîtrise quasi académique mais proposant un rendu très classe (le rythme lancinant de l'action en totale opposition avec l'ambiance générale punk : voir cette séquence quasi onirique
où des néonazis en plein pogo sont filmés au ralenti
comme pour souligner le calme avant la tempête), Saulnier réussi une nouvelle fois à dépeindre une société froide à travers d'un évènement, aussi cruel soit-il, assez quelconque. Pourtant, sans jamais verser dans l'auto-dérision, le réalisateur amène parfois très furtivement mais subtilement un peu d'humour comme pour soulager le spectateur d'une tension qui ne relâche jamais (les exemples les plus évidents :
la comparaison entre Portland et le sud profond des USA pour souligner qu'il n'y a pas que les rednecks qui soient de sales racistes arriérés, le début du concert par la chanson « Nazi Punks Fuck Off ! » des Dead Kennedys, le running gag du choix du groupe sur l'île déserte, le décompte des cartouches tirées et même le titre du film lui-même puisque cette fameuse « Green Room » où sont enfermés les protagonistes fait référence à la salle de réunion éponyme de la Maison Blanche
). Je terminerais en félicitant tout le casting pour sa jolie prestation très convaincante, en particulier Anton Yelchin et Imogen Poots, et surtout l'étonnante performance de Patrick Stewart : quelle agréable surprise de voir le Commandant Jean-Luc Picard de "Star Trek : The Next Generation" dans le rôle de ce qui est à l'évidence un clin d'œil au Walter White de "Breaking Bad" ! Voilà, après "Blue Ruin", Jérémy Saulnier confirme joliment avec ce "Green Room" en proposant, sous la forme d'un survival gore devenant un authentique parcours initiatique, sans fioriture un film tétanisant et qui tient en haleine totalement maîtrisé et cohérent. J'ai hâte de voir le prochain métrage du bonhomme !