‘Green room’ est sans doute un excellent film, objectivement parlant, mais il n’en reste pas moins un film difficile à aimer. En tout cas, ce n’est pas le film que mes précognitions de spectateur averti me laissaient présager à la lecture du scénario. Un groupe punk fauché se retrouve obligé de jouer dans un club de néo-nazis : témoins d’un crime, les voilà assiégés en backstage par une petite armée de rasés qui n’ont pas aimé leur cover des Dead Kennedys. Taxonomiquement, ‘Green room’ évolue dans le registre du room-invasion, version en huis-(encore plus)-clos du home-invasion. Loin d’être un simple produit d’exploitation, ‘Green room’ s’inscrit dans l’atmosphère terne, légèrement éthérée, un peu méditative, faussement brouillonne et implicitement sophistiquée du film indé américain ; la même que dans ‘Blue ruin’ en fait, le premier film de Saulnier, ce qui ne gâche rien. L’espace très restreint de l’affrontement est exploité à la perfection et pourtant, ‘Green room’ s’attèle à déjouer les attentes et à subvertir les codes du genre d’une façon qu’on peut admirer sur le principe mais qui n’en fait pas un spectacle taillé pour une tranquille petite séance popcorn du dimanche soir. Le groupe punk, pour qui le ‘No future’ n’est une valeur qu’aussi longtemps que leur vie n’est pas en jeu, ne suscite pas spécialement d’empathie, tandis que les nazillons ne sont pas des croque-mitaines assoiffés de sang d’anarchiste puisqu’ils ne se résolvent au meurtre qu’une fois toutes les autres possibilités éliminées. Ce biais n’enlève rien à la nature de victimes des premiers, ni à la nature de salopards des seconds, mais en évitant de grossir le trait, ‘Green room’ peut prétendre à un certain naturalisme, les méchants ayant, comme tout le monde, surtout envie d’éviter les emmerdes autant que possible. Le film ne délivre d’ailleurs aucun message politique puisque la menace incarnée par les fafs ne doit au fond pas grand chose à leurs opinions politiques : une fois la bataille enclenchée, on ne cherche plus vraiment à distinguer les bons des méchants puisque tous plongent dans une spirale de violence viscérale, les uns par esprit de corps et obéissance au chef, les autres par instinct de survie. Cette violence n’est jamais stylisée, ni rendue cool et graphique : elle est malsaine, crue, dérangeante. Avec cette variation moderne des ‘Chiens de paille’ de Peckinpah, autre film dont on ne sort pas indemne mais au contraire un peu dérangé dans son sentiment d’appartenance à la race humaine, Jeremy Saulnier est sans doute parvenu à dépeindre le pire dont l’humanité peut se rendre capable en situation de tension extrême. Mes attentes ont sans doute été trop trahies et j’étais trop fatigué pour rendre justice à ‘Green room’ : il faudra que je retente l’affaire un jour de crise de misanthropie aiguë.
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