Alex Lutz que l’on ne pouvait pas supporter dans La Revue de presse de Catherine et Liliane sur Canal , rubrique humoristique lourdingue du Petit journal, s’essaie au cinéma avec Le talent de mes amis. Et avouons-le, le cinéma de Lutz est diamétralement opposé à la superficialité parisienne de Catherine et Liliane. A ses cotés, Bruno Sanches qui joue son acolyte dans le programme court surprend et sous sa caméra, même Audrey Lamy (dont on avait parlé pour La belle et la bête), d’habitude si insupportable, prend de la consistance.
Alex (Alex Lutz) et Jeff (Bruno Sanches) sont amis depuis le lycée. Ils mènent une vie pépère entre leurs pénates et le bureau de la multinationale financière où ils travaillent. C’est à ce moment-là que refais surface un ami d’enfance d’Alex, Thibault (Tom Dingler), conférencier en développement personnel. Les cours de ce dernier font tourné la tête d’Alex qui décide de démissionner et de faire carrière dans la chanson. Avec ses amis et sa femme Carole (Anne Marivin), rien ne va plus.
Le talent de mes amis se comprend sous plusieurs niveau de lecture. Comédie, c’est aussi un drame social et une fabulette presque philosophique. Se moquant ouvertement des charlatans œuvrant dans le monde du développement personnel, il n’en pose pas moins un regard attendri sur les victimes de ce rêve à l’américaine. Et paradoxalement, ne nous épargne pas une petite leçon de vie que pourrait nous délivrer un de ces sus-nommés escrocs. Toutefois, il faut bien dire que le message est moins niais, plus nuancé et plus honnête. On confond bien souvent ambition simple et manque d’ambition. Notre société, axée sur la performance, fut-ce en dépit de la santé mentale et physique des personnes, argue du fait que l’on devrait tous réussir, quasiment au sens « people » du terme, mettant en avant des self-made men imbus d’eux-même et dont on nous cache les fêlures pour les hisser au rang d’héros de la modernité libérale. Réussir, est-ce devenir célèbre ? Doit-on réussir sa carrière pour être comblé ? Les deux amis ont une vision bien différente de la question. Alex est blasé, triste, désabusé. Il trouve sa vie minable. Il se fait totalement happé par le miroir aux alouettes. Jeff n’a pas de prétentions pharaoniques mais il est heureux. Sa petite famille suffit à son bonheur. Notre joie de vivre n’a pas à être proportionnelle à notre degré dans la hiérarchie. C’est pourtant le message principale que l’on instille à longueur d’émission insupportable sur le petit écran.
La mise en scène d’Alex Lutz fait rire à travers quelques scènes décalées et légères. Tels ces cadres supérieures allant travailler en dansant comme dans un ballet contemporain et cette scène jubilatoire d’un jeux de fléchettes qui tourne mal. Cependant, l’essentiel du ressort humoristique est contenu dans des situation, à priori banale de la vie en entreprise, mais réellement cocasse vu d’un œil extérieure. On rit franchement devant le ridicule des séances de management de la société d’assurance. Stéphane Brunge (Sylvie Testud vue dans 24 jours et 96 heures), la supérieur hiérarchique est l’archétype du héraut de la culture d’entreprise, ce monstre chimérique qui tente de vous faire croire que vous faites partis d’une famille jusqu’au prochain plan social. Il faut voir les badauds anesthésiés applaudir mollement à ses discours édulcorés. Avec affection et un brin de mélancolie, Le talent de mes amis ne se prive pas non plus de nous émouvoir avec les tourments sentimentaux de toute le troupe. Cécile (Audrey Lamy) et Carole sont désarçonnées par le changement brutal de comportement de leurs maris en pleines crises existentielles. Des conjoints devenus si égoïstes, autocentrés, qu’ils ne sont plus guère capable de se rendre compte du malaise ambiant. Le film s’autorise de vrai pause au milieu de la comédie pour prendre soin de brosser les interrogations de ces protagonistes. L’alchimie mise en place par Lutz entre comédie franche, parfois absurde, et drame fonctionnent parfaitement pour un résultat sensible, émouvant, intelligent.
C’est peu dire que nous avons été agréablement surpris de passer un si bon moment en compagnie de Lutz et Sanches. Laissons tomber toute humilité pour reconnaître que le talent de ses amis, c’est surtout le sien à Lutz. Scénariste, réalisateur et acteur, le comédien offre un très joli premier film prometteur qui nous a rappelé un autre auteur, Emmanuel Mouret, que nous avons récemment découvert avec Caprice, possédant cette même sensibilité à fleur de peau.
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