C'était un été lumineux, baigné d'une chaleur douce qui semblait faire vibrer l'air autour de Luke et Jonah, comme une promesse fragile. Cet été-là, on pouvait presque sentir le temps s'étirer, ralentir, comme s'il hésitait à continuer sa course, conscient qu'à chaque instant, une part de leur enfance s'étiolait. Ils avaient grandi ensemble, ces deux garçons, liés par une amitié si forte qu'elle semblait immuable. Pourtant, il y avait dans l'air quelque chose d'indéfinissable, une sorte de mélancolie qui se posait doucement sur leurs épaules, comme une ombre que l'on préfère ignorer.
On nous conduit dans cet espace suspendu, cet entre-deux où chaque geste, chaque regard, chaque silence entre Luke et Jonah porte la trace d'un adieu qui n'a pas encore été prononcé. Luke, athlète au corps bronzé par le soleil, incarnait cette vitalité insouciante qui attire et fascine. Ses converses noires, usées par tant d'étés passés à courir, à nager, étaient comme l’emblème d'une jeunesse libre et sauvage. Jonah, lui, dans ses baskets blanches toujours impeccables, semblait plus fragile, plus réservé, avec cette intelligence silencieuse qui le rendait à la fois distant et profondément attachant. Ils se complétaient parfaitement, comme les deux faces d'une même pièce, leur relation marquée par cette tension subtile entre la lumière et l'ombre, entre l'élan de l'un et la retenue de l'autre.
L'histoire choisit de ne pas tout dire. Les derniers jours ensemble sont filmés avec une pudeur rare, laissant le poids des choses s'imposer de lui-même. Les dialogues sont rares, comme s'ils savaient que chaque mot prononcé les rapprochait un peu plus de cette séparation inéluctable. Ce sont les silences qui parlent le plus fort.
Comme cet échange entre eux, si simple, si déchirant : “𝘋𝘪𝘴-𝘮𝘰𝘪 𝘥𝘦 𝘯𝘦 𝘱𝘢𝘴 𝘱𝘢𝘳𝘵𝘪𝘳.” “𝘑𝘦 𝘯𝘦 𝘭𝘦 𝘥𝘪𝘳𝘢𝘪 𝘱𝘢𝘴.” Dans ces quelques mots se joue tout le drame de leur histoire. Ce n'est pas seulement une question de départ, c'est l’aveu que les choses changent, que rien ne pourra plus jamais être comme avant. Il y a là une résignation douce-amère, l'acceptation presque stoïque de ce que la vie leur impose, et en même temps, un désir intense de retenir l'autre, de figer le temps.
La caméra s'attarde sur les paysages, sur cette campagne de l'Arkansas qui devient le théâtre de leurs adieux. La lumière dorée de l’été caresse les champs, les arbres, les rivières, comme pour capturer la beauté éphémère de ces moments partagés. Chaque plan est une ode à cette saison de la vie où tout semble possible, et où pourtant, l'on commence à entrevoir la fin de l’innocence. La photographie, avec ses nuances chaudes et ses jeux d'ombre et de lumière, donne à ces images une qualité presque onirique, comme si nous regardions ces scènes à travers le prisme du souvenir, déjà teintées de nostalgie.
Et puis, il y a la musique. Des pièces classiques, du Beethoven, du Schumann, qui résonnent comme un écho à la douleur silencieuse de ces deux garçons.
Jonah, qui joue du piano avec une grâce délicate, semble dialoguer avec Luke à travers ces notes, comme si la musique était le seul moyen d'exprimer ce qu'ils ne peuvent se dire autrement.
Chaque mélodie est un soupir, une tentative d’arrêter le temps, de prolonger un peu plus cet instant suspendu où ils sont encore ensemble.
L'œuvre s'inscrit dans une tradition littéraire et artistique où l'adolescence est perçue comme une période de perte, de transition. Il y a quelque chose de Mauriac, de Barrès, dans cette exploration de la douleur de grandir, de devoir dire adieu à un temps révolu. 𝙇𝙖𝙨𝙩 𝙎𝙪𝙢𝙢𝙚𝙧 résonne comme ces écrits qui parlent des premières séparations, des premières désillusions, de ce moment où l’on comprend que l’on ne sera plus jamais tout à fait le même. La citation du poème de Mauriac, 𝘓’𝘢𝘥𝘪𝘦𝘶 𝘢̀ 𝘭’𝘢𝘥𝘰𝘭𝘦𝘴𝘤𝘦𝘯𝘤𝘦, vibre ici avec une intensité particulière : “𝘓𝘢 𝘵𝘦𝘳𝘳𝘢𝘴𝘴𝘦 𝘦𝘴𝘵 𝘣𝘳𝘶̂𝘭𝘢𝘯𝘵𝘦, 𝘰𝘶̀ 𝘵𝘶 𝘯𝘦 𝘷𝘪𝘦𝘯𝘥𝘳𝘢𝘴 𝘱𝘭𝘶𝘴 / 𝘔𝘰𝘯 𝘤œ𝘶𝘳 𝘦𝘴𝘵 𝘴𝘰𝘭𝘪𝘵𝘢𝘪𝘳𝘦 𝘦𝘵 𝘣𝘳𝘶̂𝘭𝘢𝘯𝘵 𝘤𝘰𝘮𝘮𝘦 𝘶𝘯 𝘮𝘰𝘯𝘥𝘦 / 𝘌𝘵 𝘫𝘦 𝘱𝘭𝘦𝘶𝘳𝘦, 𝘭𝘦𝘴 𝘥𝘦𝘶𝘹 𝘨𝘦𝘯𝘰𝘶𝘹 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭𝘢 𝘱𝘰𝘶𝘴𝘴𝘪𝘦̀𝘳𝘦.” Ces vers capturent parfaitement cette douleur sourde qui accompagne la fin d'une époque, d'une amitié, d'un amour.
Les performances de 𝙎𝙖𝙢𝙪𝙚𝙡 𝙋𝙚𝙩𝙩𝙞𝙩 (Luke) et 𝙎𝙚𝙖𝙣 𝙍𝙤𝙨𝙚 (Jonah) sont à l'image de ce film de Mark Thiedeman : d'une subtilité déchirante. Ils jouent avec cette retenue, cette pudeur qui fait que tout se dit sans jamais être formulé. Leur alchimie à l'écran est palpable, et c'est dans les regards, dans les silences, dans les gestes simples qu'ils parviennent à exprimer toute la complexité de leurs émotions. Luke, avec son air de garçon libre et insouciant, laisse parfois entrevoir une vulnérabilité qui nous prend à la gorge. Jonah, de son côté, incarne cette mélancolie, cette conscience aiguë que tout est en train de changer, qu'ils sont à un carrefour de leur vie.
Lorsque le film s’achève, il laisse derrière lui une empreinte indélébile, une sensation étrange, comme si nous venions de dire adieu à un fragment de notre propre passé. 𝙇𝙖𝙨𝙩 𝙎𝙪𝙢𝙢𝙚𝙧 est un peu comme ces souvenirs d'adolescence que l'on garde précieusement, que l'on revisite parfois avec une pointe de nostalgie, en sachant qu'ils appartiennent à une époque révolue. Il réussit à capturer cet instant fugace où tout change, où l'on se tient encore sur le seuil de l'âge adulte, avec l'innocence de l'enfance qui s’efface doucement derrière nous. C'est un film qui résonne longtemps après que le générique a défilé, une mélodie douce-amère que l'on emporte avec soi, comme un écho lointain d'un amour que l'on n'oubliera jamais.