Aventures en train inconnu.
L’Inde, pays de contrastes, terre des richissimes maharajas cohabitant avec une quart-mondesque cour des miracles. Cette partie de l'orient extrême dans son abyssal écart de classe ou des bidonvilles croupissent aux pieds de luxurieux palais, son économie roucoulant à la sixième place mondiale avec des records d’analphabétisme et de taux de mortalité… Le cinéma n’échappe pas à cette culture du paradoxe avec la plus grosse machine au monde à débiter de la pellicule colorée la ou la misère n’a rarement été aussi noirâtre. Une industrie trop prolifique et trop bigger-than-life, un glamour trop cheap, une pauvreté trop freaks… autant de (probables) bonnes raisons pour ne pas attirer les réalisateurs étasuniens, ceux de l’autre grand pays du cinéma. Ce dernier constat tient dans un petit chiffre : en 30 ans seulement 3 films ont eu comme décorum l’inde coté "coulisses".
« La cité de la joie » (1992), premier tome d’un triptyque aux parfums frelatés, ne rechigne sur aucun cliché, et malgré une reconstitution de carton pâte assez réaliste, les « méchants » ont plus les allures des maffieux de Chicago que de véritables terreurs locales. Une intrigue marshmallow due en grande partie à son inévitable accent hollywoodien avec un Patrick Swayze trop hygiénique, des ressorts dramatiques cousus de fils blancs, une mise en scène trop blockbusterisée pour être vraie et un manichéisme affligeant . Seule l’interprétation de Om Puri, le tireur de pousse-pousse, est assez bouleversante de vérité et de dignité.
C’est d’ailleurs de ce coté la que se situe une (la ?) des réussites de « Slumdog Millionaire »(2008) avec Dev Patel dans le rôle de Jamal, ce jeune Hindou qui participe a «Qui veut gagner des millions ?» confortablement assis dans sa peau de « pauvre orphelin » et a la destiné marquée par une déshérence qui frôlerait presque la caricature si le film de Danny Boyle n’était pas emporté par une débauche d’énergie prompte a emporter les plus réticents. Une générosité, renforcée par celle du réalisateur, qui suffira malgré un scénario abracadabrantesque a forcer notre indulgence et nous empêchera de bouder notre plaisir.
Pour trouver trace d’un naturalisme beaucoup plus documentarisé il faudra attendre 2016 et ce « Lion » ou la misère locale n’a jamais paru aussi poisseuse et surtout aussi réaliste. La faute à une sublime photographie qui sublime la crasse et transcende la saleté. L’errance du petit Saroo perdu dans l’immensité de cette région est rendue tellement anxiogène qu’il est impossible de ne pas être submergé par l’émotion. Surtout que la bande son aussi lyrique que grave rajoute artificiellement une part supplémentaire de dramaturgie. A voir le jeu de Sunny Pawar, étranglant de sincérité, on en vient a penser que l’interprétation « locale » est un gimmick récurrent puisqu’elle surfe sur celle du tireur de pousse-pousse et du néo millionnaire, avec une déconcertante empathie.
Si le coté « histoire vraie » n’était pas forcément obligatoire pour accroire l’émotion il ne la dessert pas. A part d’être frappé d’une pathologique insensibilité affective, il est quasiment impossible de ne pas sortir la boite a kleenex… a tel point que l’on pourrait en perdre son libre arbitre, emporté par ce torrent de larme qui peut faire déjuger. Car la deuxième partie du film sonne assez faux pour ne pas finir pas se rendre compte du subterfuge dans lequel le réalisateur nous a fait tomber. « Lion » est trop pathos et trop lacrymal pour être « vrai », et le passage a l’age adulte de Saroo nous désembue les yeux pendant que, justement, les siens s’inondent au fur et a mesure ou l’enjeu principal du thème se met en place, a savoir retrouver sa mère et son frère depuis son Australie d’adoption grâce a Google earth …
Si Nicole Kidman en mère adoptive très « femme de son age » (précision importante car elle a passé le reste de sa filmo a jouer les éternelles « jeunes ») est crédible, son rôle est rendu subsidiaire par des dialogues et une présence qui tiennent sur un post-it . Globalement cette partie du métrage s’étire en longueur et sent le remplissage (que dire du frère adopté, complètement inutile !) tant les ressorts du passage a l’age adulte et le choc des cultures sont balayés, autant que le développement personnel de notre slumdog Dev Patel, qui a du mal a se dépêtre de son rôle mono expressif du film de Boyle et nous sert de la larmette a tour de cils.
Des pleurs enrichis par une musique très « Intouchable » qui, a force d’appuyer sur ce truchement technique ressemblerait presque a des cartons en sous titres ou il serait marqué « Pleurez » !
Bref une grosse moitié du métrage qui se plante généreusement et que le « happy end » final ne rattrapera pas, le mal étant fait depuis que la boite a mouchoir s’est vidée.
« Lion » est ce que Garth Davis voulait en faire : un joli film sur une belle histoire, et le « truc » fonctionne. Mais sa technique est aussi paresseuse que les publicitaires pouvaient se montrer racoleurs en le vendant comme “le nouveau "Slumdog Millionaire�, sous couvert de la présence du même acteur. Mais on est loin de l’énergie folle du premier nommé, dont la seule comparaison suffit d’ailleurs à faire de ce fait divers une adaptation lénifiante.
Dommage, car on l’aimait bien, ce gamin…