Atom Egoyan, pour moi, c’est le genre d’auteur face auquel on fonctionne au « on aime ou on n’aime pas » (…du moins pour sa dernière décennie). Personnellement, j’ai rarement entendu quelqu’un dire « j’ai aimé ça de lui mais par contre j’ai pas aimé ça. » Souvent le plaisir ou le rejet est global, ce qui est d’ailleurs souvent le cas quand on a à faire à un auteur à patte ; même si cette patte est aussi subtile que celle d’Atom Egoyan. Si je dis ça pour commencer, ce n’est pas par hasard. Tout d’abord je dis ça parce qu’il faut que vous sachiez que je fais partie de ceux qui aiment Atom Egoyan. Certes, je n’ai pas vu tous ses films, mais je le suis régulièrement depuis que je l’ai découvert au cinéma depuis dix ans et, dès lors, je n’ai jamais été déçu. Donc du coup, oui, j’ai adoré « Remember » comme j’ai pu adorer ses précédents films. Après, c’est là la parole d’un gars qui aime le style Egoyan : ça vaut donc ce que ça vaut… Mais bon… D’un autre côté, j’avais aussi une autre raison de préciser qu’Atom Egoyan était un auteur du genre « on aime ou on n’aime pas. » Et cette deuxième raison c’est que, pour le coup, je pense que ce film pourrait en réconcilier quelques-uns avec cet auteur. Alors après – attention – quand je dis ça, je ne dis pas non plus que ce film ne répond pas aux caractéristiques habituelles d’Egoyan. Réalisation d’esthète mais réalisation sobre ; écriture de personnages très ambigus ; regard d’auteur neutre et sans jugement sur ce qui est pourtant contraire à la morale établie : bref tout est là… A partir de là, je pense d’ailleurs qu’il est inutile d’en dire plus à des convaincus comme moi. Les connaisseurs se rappelleront alors sûrement cette étrange sensation qu’on ressent dans les films d’Atom Egoyan ; cette sensation d’être poussé dans une intrigue qui malmène un petit peu nos codes moraux, sans que pour autant la réalisation ne vienne orienter notre jugement. « Remember » est finalement comme les précédents films de l’auteur : il continue d’explorer l’humanité sans la juger ; il nous pose face à des choix et des actions qu’on ne peut que chercher à comprendre plutôt que justifier ou condamner. Alors après, j’ai conscience qu’en disant cela, je ne vais pas forcément rassurer ceux qui déjà n’étaient pas friands de ces choix de formes et de fond, ce qui pourrait du coup rentrer en contradiction avec ce que je viens de dire quelques lignes plus haut. Mais d’un autre côté, je suis persuadé que « Remember » dispose malgré tout d’arguments qui pourraient changer votre approche sur la question. D’abord, je trouve que la mise en intrigue du film est très efficace en son début. L’air de rien, on attise tout de suite notre curiosité en posant tout de suite une mission mystérieuse au personnage principale ; mission dont on comprendra rapidement les enjeux, mais dont on requestionnera en permanence les tenants et les aboutissants au fur et à mesure de l’avancement de l’intrigue. Alors certes, au départ les astuces utilisées par l’intrigue ont des vieux airs de « Memento » réinterprété, mais je trouve que très rapidement Atom Egoyan parvient à se réapproprier le dispositif et en faire quelque-chose de singulier, qui dit certes plus ou moins la même chose que le film des Nolan, mais qui le dit autrement et avec beaucoup d’intelligence. Parce que là, pour le coup, l’intrigue de « Remember » ne cherche pas à questionner le « qu’est-ce qu’il s’est passé ? » mais plutôt le « à quoi ça aboutir ». On est dans une sorte de récit initiatique dont le principal protagoniste est un homme sur le déclin ; un personnage qui va chercher à s’accomplir et se révéler par son acte final. Et le parcours de cet homme est d’autant plus prenant que le film parvient à juxtaposer un personnage touchant à un acte moralement ambigu. Et pour le coup, je trouve que le choix de Christopher Plummer pour incarner ce personnage de Zev d’un côté ; ainsi que le choix d’inscrire l’acte dans le contexte d’une
vendetta post-seconde guerre mondiale
de l’autre, sont deux choix pertinents pour rendre ce dilemme accessible au plus grand nombre. Vraiment, encore une fois : « chapeau ». Ce film m’a vraiment fait le même effet que les précédents métrages d’Egoyan : j’entre dans le film en le trouvant simple mais efficace, et puis au fur et à mesure du temps je me laisse prendre par la subtilité et l’ambiguïté que l’auteur vient glisser dans cette situation pourtant simple. La montée en puissance est efficace et je trouve le final juste remarquable. Sobre, mais encore une fois bougrement efficace. Pour moi, la messe est en tout cas dite : ce « Remember » vient rallonger la liste des films d’Egoyan que j’adore, tout ça en attendant qu’il vienne habiller ma vidéothèque. Vous m’avez donc bien compris. Si vous me demandez si un passage face à ce « Remember » vaut le coup, ma réponse sera sans ambivalence. Si vous aimez Egoyan, la question ne se pose même pas : oui, cela vaut amplement le coup. Si par contre Egoyan vous laisse froid, eh bah ma réponse sera malgré tout la même. Si un film d’Egoyan a une chance de vous séduire au style d’Egoyan, c’est bien celui-là. Donc, s’y risquer ne pourra pas faire de mal, non ?