Ce film unique et un peu inégal est pourtant passionnant. Il met en scène la virée nocturne d'une jeune espagnole et de quatre puis trois jeunes allemands dans Berlin. Au delà de l'intrigue du type thriller que nous suivons avec palpitations, malgré quelques lenteurs, le passé, suggéré ou clairement explicite des protagonistes résonne de manière particulièrement symbolique.
L'héroïne, d'origine madrilène, est en effet pianiste "contrariée". Lors d'une scène d'une grande intensité dramatique, elle dévoile à la fois son talent, une grande force de caractère qui annonce la suite et son choix antérieur d'abandonner une carrière musicale non conforme à son idéal (art et passion versus élitisme et compétition). De fait, dans le film, elle a échoué au sens propre et figuré à Berlin où elle occupe un de ces petits jobs allemands sous payés (4 euros de l'heure), et se défonce en boîte (on la voit avaler discrètement des cachets), tentant de provoquer son destin. Face ou plutôt avec elle, quatre, puis trois et principalement un - gentil(s) - loubards qui revendiquent leur appartenance berlinoise (le sujet revenant régulièrement dans la discussion), identité floue également décrite comme fruit du mix socio-culturel de la capitale. Le film oppose donc non sans malice une Espagne déclassée et idéaliste à une Allemagne crapuleuse et indécise, voire en mal d'identité (est/ouest, immigration).
Mais, et c'est là toute la force du propos, la fusion improvisée de cette jeunesse européenne (nord/sud) se réalisera autour d'un projet, imprévu et imposé, celui du braquage d'une banque (symbole classique du capitalisme).
Ce film remarquable propose donc plusieurs lectures : celle d'un film d'action plein de suspense. Celle de la rencontre amoureuse émouvante de deux jeunes gens, que tout devrait culturellement opposer, les barrières tombant du fait de leurs personnalités hors normes.
Et enfin, celle du portrait d'une génération certes en manque de repère (les déambulations de la première partie) mais énonçant ce qu'elle refuse (un système basé sur l'élimination des plus faibles, symbolisé par le refus de Victoria de continuer le conservatoire), capable de solidarités même amorales ou risquées (l'engagement sans faille de Victoria dans un coup qu'elle pressent pourtant foireux) et désireuse d'ériger un nouveau système (le capitalisme dans son modèle classique parvenant désormais à un tournant historique).
Ajoutons enfin qu'ici c'est la femme qui est au centre, renversant les codes habituels du film d'action (Mission Impossible, James Bond, etc). Le film porte son nom, Victoria, et c'est elle le "driver" comme elle le répète à plusieurs reprises, avec une joie teintée de gentille ironie. C'est elle qui assume avec le plus de sang froid les scènes opposant les jeunes aux mafieux.
Et c'est elle qui repartira avec le magot.
Clin d'œil malicieux de l'auteur en pleine crise financière opposant l'Europe du Sud (aujourd'hui la Grèce) à la Troïka ?
En bref, Victoria offre, outre un très bon spectacle dont l'usage du plan séquence est l'un des ressorts, une vision d'auteur, à la fois noire et optimiste de la société, de la jeunesse et de ses perspectives. Un superbe projet, donc.