Joaquin Phoenix interpète Abe Lucas, un professeur de philosophie dépressif convaincu que ce qu'il entreprend est parfaitement inutile. C'est déjà un thème développé par un Woody Allen inspiré puisque, à l'entame de "L'homme irrationnel", il est beaucoup question des élucubrations de cet homme dévasté, sans aucun goût pour la vie, mais qui en finit, par moments, par être comique.
Celui en devient en fait surtout passionnant auprès, notamment, de sa séduisante élève Jill (Emma Stone) et de sa collègue Rita (Parker Posey), avec qui il débute des liaisons. On reconnaît la plume pointilleuse du réalisateur américain dont les dialogues demeurent pratiquement toujours une des principales forces.
La meilleure idée du film intervient en revanche un peu plus tard quand, au sommet de ses troubles psychologiques, Abe Lucas reprend goût à la vie, au détour d'une conversation entendue par le plus grand des hasards. Il se décide alors à tuer un inconnu visé par dans cette conversation pour, en résumé, rendre le monde meilleur.
Le thème de la chance, déjà traité dans d'autres œuvres d'Allen ("Match Point" par exemple), est donc à nouveau au centre des préoccupations puisque, on le voit, c'est elle qui place Abe au bon endroit au bon moment pour, à la fois, lui permettre de sortir de son marasme et de mettre fin aux jours d'un homme au destin inverse. Il semblerait ainsi que l'octogénaire prenne un malin plaisir à répéter que la vie est en grande partie question de chance, avec les arguments qui vont avec.
On peut cependant nuancer le principe. En effet, Abe, du fait de ce hasard "heureux" (ce terme est évidemment contestable ici), prend alors des positions plus surprenantes compte tenu de ses thèses passées, basées sur l'action et la nécessité de prendre les choses en mains. Le revirement n'est pas sans susciter le sourire même s'il est probablement plus conforme à la réalité du quotidien, à savoir un mélange de hasard et de volontarisme.
Enfin, "L'homme irrationnel" fait la part belle à la question de la morale car, au fur et à mesure, les avis divergent assez largement. Entre intellectuels que sont les personnages, chacun en a son analyse et en connaîtra les conséquences. Mais de morale, y en a-t-il vraiment ? D'une manière générale, le second degré est de mise tout du long.
En tout cas, difficile d'imaginer scénario plus cynique mais le résultat est absolument génial, servi par des acteurs excellents. Abordant une multitude de sujets avec pas mal d'humour, "L'homme irrationnel" ne manque en plus pas de suspense. Ce qui le rend peu dispensable.