« Le rassurant de l’équilibre, c’est que rien ne bouge. Le vrai de l’équilibre, c’est qu’il suffit d’un souffle pour tout faire bouger ». Ce n’est pas Woody Allen qui contredira Julien Bracq, avec « L’homme irrationnel » tant le film joue avec l’équilibre. A un point tel que c’en est fascinant et envoûtant.
Avec « Match point », on avait découvert un travers nouveau chez le réalisateur, le cynisme, celui qui tend à flirter sciemment avec l’immoralité, hypocritement lissée au point de la cautionner. Avec « L’homme irrationnel » Allen retrouve cette veine, et disons cette verve qui amuse plus qu’elle ne dérange.
De cette incroyable facilité scénaristique, où le sentiment culpabilité est malmené, on touche aux questionnements existentiels de l’amour (de soi, celui qu’on porte à l’autre), de l’ambition (courir après sa réputation, conquête de l’inaccessible) et de l’estime de soi (fatuité, égocentrisme). La narration croisée en voix-off de Abe et Jill fait se juxtaposer le raisonnement à savoir qui porte la plus grande responsabilité. Allen ne tranche pas, goguenard, il laisse le spectateur se triturer les méninges, il le veut réactif. Et cela fonctionne, la salle était partagée, certains (face à une situation aussi désopilante) riaient, les autres gênés se recalaient constamment dans leurs sièges. Ce malaise palpable tient à l’écriture et à la construction du récit. Pas d’appesantissement, pas de verbiage, mais au contraire une vraie fluidité dans l’action et la parole, pour livrer un film au parfait équilibre.
Ce même équilibre que l’on retrouve chez l’antinomique duo d’acteur, entre un imposant Joaquin Phoenix bouffi, imbu de sa personne et de la fraîche Emma Stone qui sous son apparente fragilité révèle un tempérament sombre. Leur talent respectif, couplé à la subtile direction d’acteur en font d’ors et déjà un couple de légende pour le cinéma.
« L’homme irrationnel » est l’un des meilleurs films du cinéaste, il semble à l’apogée de son art, gommant de fait ce qui agaçait parfois chez lui ces derniers temps, discours en creux pour « Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu », maniérisme allenien de son « Magic in the Moonlight » ou encore paresse de « Minuit à Paris ». Il touche ici sur la forme (exception faite de la photo toujours trop saturée) et le fond, au subtil mélange d’un film grand public intelligent et caustique, un vrai travail d’équilibriste !