Depuis quelque temps, nous pouvions sentir une envie de redorer des fragments de l’Histoire chez Baz Luhrmann. Son style hystérique du montage, l’extravagance des couleurs qu’il accentue et un apport musical pour apporter du relief, nous sommes bien dans un kitch esthétique, qui régale et désarme par la même occasion. Un coup d’œil sur sa filmographie permet d’en témoigner : « Ballroom dancing », « Romeo + Juliette », « Moulin Rouge ! », Australia ou la dernière adaptation de « Gatsby le Magnifique ». Il sonne alors la révolte, en ramenant le King sur scène, dans un moment d’égarement, le même que le rockeur partage avec une Amérique confuse et qui va radicalement perdre toute son innocence. La mutation sociale peut ainsi se lire à travers la vie tragique et magique de celui qui galvanise encore la culture actuelle.
Il est sacralisé comme un saint, mais au nom du business, il est temps de prendre du recul sur une des célébrités les plus emblématiques de la culture musicale moderne. Pour en parler, il a fallu un témoignage solide pour se convaincre de la misère de ce mode de vie, qui ira jusqu’à décrocher l’éternité, mais à quel prix ? L’œil de lynx et le flair mesquin du Colonel Tom Parker (Tom Hanks) constitueront la porte d’entrée vers un monde factice et surtout fantaisiste, celui du spectacle. Mais l’arnaque ne vient pas de ce qui se trouve sur scène, bien au contraire, car Luhrmann sait précisément comme assaisonner son dessert. Cela commence avec la performance flamboyante d’Austin Butler, dont la voix et la prestance vont de pair avec le fantôme du King. C’est ainsi qu’on se lance à la recherche de ce monument, à travers le commentaire de Parker, un manager qui tient plus que la trésorerie dans ses mains.
Leur rencontre est significative et un lien toxique les unit, où chacun tente de vampiriser l’autre, afin d’atteindre le succès. Et le récit ne viendra pas pour autant estampiller ses dires d’une authenticité alarmante, on préférera suggérer par l’absurde, les dérives qui ont fait chuter la star du sommet. C'est dans les contradictions que le film déroule ses meilleurs couplets, où la poule aux œufs d’or se révèle indomptable. Dès son plus jeune âge, il laisse la musique le submerger, jusqu’à ce qu’il puisse nous le rendre au quintuple de son génie, à base de dandinerie en tout genre, quitte à irriter ceux qui favorisent la ségrégation. Les faits de l’époque viennent ainsi se greffer au voyage du héros, qui ne peut être retenu par sa mère (Helen Thomson) ou encore son épouse (Olivia DeJonge). Ces dernières cherchent à le sauver, tandis que d’autres, l’exploite un peu plus pour la vente des billets et des marchandises à son effigie. Il n’est sans doute pas étonnant de comprendre l’ambiguïté hollywoodienne, en acceptant de retracer le parcours d’une personne, qui a été catapulté par le capitalisme et d’autres outils que l’industrie défend encore de nos jours.
Pourtant, même en sachant cela, le cinéaste est incapable d’aller au bout de son idée, en donnant le coup de grâce au système. Il accepte une démarche qui a élevé « Elvis » à un rang qu’il défend dans la douleur. Mais là encore, nous ne sommes que dans un fantasme, qui ne nous rapprochera pas de la véritable personnalité du King, mais bien de sa place dans un monde qui avait besoin de ce messie pour rassembler les cultures et soulager des plaies grandes ouvertes, où le virtuose n’avait pas son mot à dire. Les tubes que l’on retrouve parlent d’eux-mêmes, en trouvant une cohérence dans l’errance d’un personnage manipulé et sous l’emprise de nombreux diables. En ce sens, l’expérience passionne ou fascine, car l’ombre du Colonel influence les nouveaux enjeux que le musicien doit assimiler, s’il veut encore espérer rejouer son plus grand concert une fois de plus. Un récit rock’n’roll qui vaut le détour.