Et si le destin y est pour quelque chose ? Et si les coïncidences ne sont présentes que pour justifier le croisement des vies au travers de leurs drames passés et à venir ? Paul Thomas Anderson répond à ces problématiques dans un lyrisme assurément triomphant, du haut de ces trois heures de film choral, où les narrations s'entremêlent, pour le meilleur et pour le pire. Ceux qui ont pu passer par le « Short Cuts » de Robert Altman pourront témoigner de cet hommage, réapproprié avec brio par la sensibilité d'un nouvel auteur à suivre. Après « Sidney » et « Boogie Night », le cinéaste américain démontre une certaine aisance à laisser son cadre flotter, durant de longs plans-séquences qui relèvent autant de l'immersion dans le réel que dans un environnement fantastique.
Il joue effectivement sur la fine corde qui relie tous les protagonistes, les uns avec les autres, brassant ainsi tout un éventail social, culturel et générationnel dans le même mouvement. Tout le monde parvient à exister dans ce riche univers, sans socle ou de limites si ce n'est la créativité de son auteur. L'exposition saura ainsi stimuler notre curiosité avant de s'attaquer au véritable plat de résistance, que sont la condition humaine et la psyché commune qui divisent et éloignent les individus. Ancré dans une relecture intuitive d’une Amérique, qui bourgeonne au même rythme que les regrets fanent, Anderson fait de son collectif de comédiens une clé de voûte précieuse et représentative d'une époque où les éclaircies se font rares ou ne sont alors que des illusions dans lesquelles on s'enferme. Frank (Tom Cruise) se noie dans le machisme sectaire, en dépit de ses racines biologiques, tandis que Linda (Julianne Moore) voit ses sentiments apparaître sur le chevet de son mari (Jason Robards) mourant.
Le cancer est encore une fatalité que l'on ne peut ignorer et Anderson le sait bien. Il l'associe donc avec la disparition tragique de son père quelque temps avant le tournage, ce fléau, qui peut aussi bien ravager des vies que les épargner. Un déluge biblique le confirme et met l'accent sur la prescience qui échappe à tous les personnages manipulateurs. On finit par avoir des remords, on culpabilise, mais on finit par s'écouter, sans se juger, à l'image de cette romance minimaliste entre un policier maladroit (John C. Reilly) et une toxicomane brisée (Melora Walters). Et pourtant, on y croît à chaque instant, qu’on retienne ses larmes ou sa vessie, le résultat est le même, on garde cette frustration qui nous pousse à fuir, à ne pas franchir le pallier de la porte, à ne pas s’accorder une seconde vie ou à y renoncer.
Ce voyage est rempli d’une humanité qui fait bouillir cette bulle d’émotion que le film nous invite à remodeler au fur et à mesure de l’intrigue. Les partitions symphoniques et chantées de Jon Brion et Aimee Mann cultivent ainsi toute l’angoisse des personnages, qui ne savent plus comment réagir, qui ne savent plus comment ressentir. La qualité rare de « Magnolia » réside dans son ton, torturée et qui visite le passé pour mieux questionner le présent et cet avenir incertain, qui se confondent par moment. Le cinéaste en est conscient et ne cherche jamais à masquer les plaies, mais plutôt à retirer lentement le pansement, jusqu’à en ressentir chaque picotement qui rapproche la foule de leur propre émancipation et de leur réconciliation avec une vie qui ne les a finalement pas tant gâtés que cela. Dans cet élan du plus pragmatique et du plus sensationnel, on se rend ainsi compte que ce même hasard, que Paul Thomas Anderson sauvegarde, nous a conduit jusqu'à son film, pleines de grâces et d'émotions.