AVERTISSEMENT: pour que cette critique soit cohérente et lisible, les Spoilers ne peuvent être cachés. Comme l'ont dit plusieurs critiques, ''Jurassic World : Fallen Kingdom'' est fondé sur un fossé. Un fossé entre un scénario dans l'ensemble débile et une mise en scène talentueuse. D'un côté nous avons donc le lamda Colin Trevorrow qui n'a pas les moyens de son ambition au scénario. De l'autre, nous avons le héros catalan Juan Antonio Bayona qui vient rendre intéressant l'inintéressant scénario de Trevorrow. Mais lequel des deux hommes parviendra t-il à triompher ? Il ne peut en rester qu'un...
Trois ans ont passé depuis la catastrophe de Jurassic World : les dinosaures, relâchés sur toute l'île sont menacés par l'éruption du volcan. Face au refus des autorités d'intervenir, le millionnaire Lockwood (James Cromwell) décide de venir en aide aux dinosaures. Une équipe, dans laquelle on retrouve Claire (Brice Dallas Howard) et Owen (Chris Pratt) sont envoyés sur l'île pour sauver une dizaine d'espèces de dinosaures. Mais nos deux héros vont vite se rendre compte qu'ils se font berner par Eli Mills (Rafe Spall), le second de Lockwood, qui veut vendre les dinosaures aux enchères.
Par rapport au scénario, ''Jurassic World : Fallen Kingdom'' a toujours les mêmes problème que le premier Jurassic World. On passera, lassé sur les éternelles et néfastes incohérences du script (rien que le pitch de départ : installer un parc sur île hautement volcanique ? Pas la meilleurs idée qu'a eu John Hammond...). Le scénario vient confirmer ce que ''Jurassic World'' préfigurait sur la personnalité des dinosaures. Voici donc les dinosaures estampillés Disney qui ont l'amabilité de n'attaquer que les méchants. Désormais, il n'y a pas, plus une seule victime innocente et donc marquante. Désormais, on a trop peur de choquer le monde : donc, pas de gentils morts ! Dès lors, la morale que suivent les héros du film est des plus confortable : c'est si facile de vouloir sauver les dinosaures quand ces derniers ne bouffent que de l'homme d'affaire véreux. Par rapport au scénario, le film a la qualité de ne plus être contradictoire comme l'était le premier opus. Maintenant, on voit très clairement les intentions de Colin Trevorrow. Ce dernier semble vouloir rapprocher cette saga d'une autre célèbre franchise du cinéma. Même dans le titre, Jurassic World se rapproche de... La Planète des Singes ! C'est ce que semble vouloir développer Trevorrow : une trilogie fondée sur le recul de l'homme et où les dinosaures dépassent un simple stade de vie sur une île. Les dinosaures semblent prêts à vivre là où précisément, l'homme vit. Cohabitation avec l'homme ? Ou destruction d'une des deux espèces ? La réponse sera donné dans le troisième épisode. Tout est dit par Ian Malcom (Jeff Goldblum, convoqué... pour deux scènes) : l'homme va devoir apprendre à vivre avec les dinosaures s'il ne veut pas voir les dinosaures dominer le monde. La maladresse de ce discours est surtout dû à l'écriture hélas trop sommaire de Claire et d'Owen. En fait, ce sont les deux points faibles du film. Un scène illustre fort bien ce problème de développement de personnage. C'est la scène où les deux héros, enfermés dans une cellule, sont confrontés au méchant Mills. Celui-ci a crée un superprédateur destiné à servir l'armée : l'Indoraptor. Face à cette création, nos héros sont bien evidemment horrifiés et insultent Mills. Ce dernier rétorque alors qu'il n'y a au fond aucune différence entre lui et son Indoraptor et Claire et son Indominus Rex (autre superprédateur crée dans ''Jurassic World'' notamment grâce à Claire). Face à cette remarque tout-à-fait judicieuse, nos personnages... se taisent et Claire n'a pour seul réponse que de frapper Mills. La scène qui vient pour l'effet comique (et pour la touche de féminisme genre : ''il n'y a pas que les gars qui sont forts'') vient aussi et surtout prouver le manque de discours flagrant qui anime Claire et Owen. Ce qui frappe, c'est à quel point Trevorrow fait de Claire et d'Owen des personnages qui agissent, mais qui ne pensent pas sur le long terme. A la limite, n'importe quel personnage secondaire, même le plus caricaturé tient un dicours plus cohérent et humain. Disons que le film comporte deux parties : la première se passe sur l'île, la seconde se passe dans le manoir de Lockwood. Et si le but des héros est logique et évident dans la première partie (ils veulent sauver les dinos), il devient étrange et abscons dans la seconde. Un peu à l'instar de Ian et de Sarah Harding (Julianne Moore) dans ''Jurassic Park 2'', l'écart entre les héros du film et les enjeux du film sont beaucoup trop disproportionnés. Explication : dans ''Jurassic Park 2'', quatre personnages importants s'échappaient de l'île. Si Nick (Vince Vaughn) et Tembo (Pete Potlethwaite) disparaissaient sans demander leur reste (et c'est bien normal), Ian et Sarah... se mettaient dans la tête d'évacuer le T-Rex de San Diego (euh...). Et c'est alors qu'on se pose la question du pourquoi. Pourquoi vous ? Pourquoi est-ce à vous de traquer le T-Rex ? Qu'est-ce qui rend les deux protagonistes légitimes au poste de héros du film ? Dans ''Jurassic Park 2'', Spielberg ne parvenait pas à faire de Ian et de Sarah de vrais héros seyant (c'était criant dés que le T-Rex débarque à San Diego). Rebelote ici. Claire et Owen sont utiles dramatiquement dans la première moitié du film, totalement creux et vides dans la deuxième partie. Pourquoi ? A cause de leur discours complètement illogique pour un être humain. En fait, tout est là : Claire et Owen font penser à ces héros de jeux vidéo (pas ceux des jeux 3D modernes très scénarisé, ceux des jeux rétros en 2D) qui agissent sans que le spectateur est la moindre idée de leur but. Car le but du personnage est évidemment le sujet des films. Et c'est stupéfiant de voir à quel point Claire et Owen, après avoir quitté l'île ne semblent animer par aucun but. Bien entendu, ils peuvent en avoir un sur le court terme (voir ce qu'il adviendra des dinos, protéger Maisie, la petite-fille de Lockwood) mais ils n'ont pas de ligne fluide et claire (oui, l'héroïne ne porte pas bien son prénom). Bon Dieu, mais qu'est-ce que vous foutez Claire et Owen ? Libérer les dinosaures (ce qui signifierait mettre en péril notre monde) ? Les tuer (ce qui entraînerait la mort de cette espèce) ? Juste foutre la m**** ? Le dilemme entre tuer les dinosaures où les sauver pouvait être intéressant... s'il était traité de bout en bout. Hélas non, cette question est seulement posée au début (via des flashs info et une scène au Sénat) et à la fin (où les héros ont la possibilité de relâcher les dinosaures dans la nature). A aucun moment, les héros ne font part dans la deuxième partie du film de leur attention, de leur doute, de leur volonté et de leur motivation. Et ce n'est pas comme si la saga Jurassic Park ne pouvait avoir plus de dialogue. Il ne faut pas oublier que le premier film était rempli de dialogue à bâton rompu, d'idées expliquées, de débats. Ici, nul débat possible car nos héros n'ont nul but (sans rire, les personnages secondaires doivent avoir deux fois plus de dialogue réfléchi que nos héros). De toute façon, dans la série Jurassic Park, seul le premier opus avait livré une vraie réflexion, non manichéenne. Désormais, le propos est certes toujours présent, mais noyé sous un flot d'action non-stop. Ironiquement, la faute incombe à Spielberg, qui s'il a eu le génie de faire le premier opus, a eu aussi l'idiotie de faire le second (qui pouvait se résumer ainsi : un petit quart d'heure de parlotte, puis action ! Action!).
Donc, résumons ce qu'on peut comprendre des actions des héros. Ils veulent sauver les dinosaures de l'explosion du volcan. Mais à la fin du film, face au danger que peuvent représenter les dinosaures , ils se résignent à accepter la mort des dinosaures. A ce stade, même si tuer les dinosaures est la chose la plus sensée qui soit, on sent très bien que Trevorrow (au contraire de Spielberg) aime ces dinosaures et que lui, veut les sauver. Par conséquent, un hiatus existe entre les protagonistes qui veulent tuer les dinosaures et un scénariste capricieux qui adore les dinosaures et veut les sauver. Et là, il faut signaler une excellente ficelle de scénario trouvé par Trevorrow : la libération des dinosaures dans la nature. Un piège était tendu. Comment faire pour permettre aux dinos de s'en tirer. Seule une décision humaine peut les sauver. Or, à la fin du film, quel humain un temps soit peu sensé irait les sauver ? Et pourtant... un humain va bien presser le bouton rouge qui libère les dinosaures dans la forêt, proche de la ville. Le personnage, c'est Maisie, la petite-fille de Lockwood. Enfin un enfant réussi qui méritait davantage de scènes (quitte a lui donner le rôle central dans la seconde partie). La révélation faite en fin de film place pour la première fois l'enfant au centre des thématiques de la franchise Jurassic Park. Un enfant qui, comme les dinosaures, a été crée génétiquement. C'est ce facteur qui rapproche Maisie des dinosaures. Par conséquent, on assiste à la libération de créatures créees par l'homme (les dinos) par un être crée aussi par l'homme (Maisie). N'est-ce donc pas dorénavant aux créations de l'homme de dominer le monde ?
On l'a vu, c'est finalement les personnages secondaires qui sont véritablement incarnés. C'est bien sûr le cas de Maisie, mais aussi le temps de deux scènes Ian Malcom. Il est le porteur de vérité, l'homme qui comprend mieux que les héros mêmes. Celui qui avec l'âge semble avoir le plus de recul. Parmis les antagonistes, le Dr Henry Wu est plus intéressant que dans ''Jurassic World''. Scientifique maléfique (comme le prouve trèèèès subtilement sa tenue en noir) qui avait produit l'Indominus Rex, il semble ici moins favorable à la création de l'Indoraptor. ''La science n'est pas un sprint, c'est un marathon'' dit en substance Wu à Mills. Justement, parlons-en de notre méchant : Eli Mills est l'assistant de Lockwood. Il le trompe en lui faisant croire qu'il veut exporter les dinosaures sur une autre île, alors qu'il veut les vendre à des millionnaires. Aux premiers abords, le personnage ne semble guère intéressant car trop caricatural. Et c'est vrai que Trevorrow ne fait pas dans la finesse avec Mills (qui est très méchant). Mais ce qui est réussi, c'est que Mills est un salaud qui le reconnait et aime en être un. Plusieurs fois, Mills répond aux critiques qui lui sont faites. Et sa réponse, quoique cynique est logique. On a vu un exemple avec son affrontement avec Claire. Mais on peut aussi prendre la scène où Mills se retrouve pour la dernière fois face à Lockwood. Lockwood apprend par Maisie que Mills lui ment et qu'il veut mettre aux enchères les dinosaures. Lockwood veut alors dénoncer Mills à la police. Mills dénonce alors l'acte contre-nature de Lockwood (qui a crée avec John Hammond les dinosaures) et ajoute que c'est à son tour de commettre un acte contre nature en assassinant Lockwood. En fait, l'antagoniste ne symbolise ici que le mauvais côté des personnages ''positifs''. A chaque fois qu'un de ces personnages l'attaque, Mills l'attaque à son tour. Bien entendu, le méchant n'aura que ce qu'il mérite en se faisant dévorer par le tyrannosaure. Au passage on peut dire que la scène est significative de cette violence édulcorée qui caractérise dorénavant la saga. Dieu que le sadisme de Spielberg nous manque !
Le scénario de Trevorrow est maladroit, ses héros sont inintéressant. Mais ''Jurassic World : Fallen Kingdom'' fait partie de ces films qui viennent prouver la possible dissociation qualitative entre le fond et la forme. Car si le fond (thématique de Trevorrow) est bancale, la forme (mise en image de Bayona) est absolument impeccable. Quel bonne idée d'avoir emboché le réalisateur espagnol ! Le réalisateur, à l'aise dès qu'il s'agit de mêler spectaculaire et intimisme est ici comme un poisson dans l'eau. Ce mélange est visible puique la majorité des évènements spectaculaires ont lieues en huit clos (la dernière partie du film se situant dans la demeure de Lockwood). Autre argument de poids : Bayona sait filmer les monstres. En trois films, il a su créer des êtres monstrueux, hors normes, uniques. Que se soit avec le petit Tomas et son masque de ''L'orphelinat'', le terrifiant tsunami de ''The Impossible'' où encore l'arbre philosophe de ''Quelques minutes après après minuit'', Bayona n'a pas son pareil justement pour montrer l'impossible. Et ici, le monstre le plus fascinant n'est nullement les dinosaures ou Mills, mais la petite Maisie. La manière qu'à Bayona de la filmer devrait en début de film nous mettre la puce à l'oreille. Bayona choisit de la dissimuler pendant une bonne partie du film et de ne capter que ses déplacements furtives au sein du manoir de Lockwood. Ainsi, Bayona (avant même que l'on sache la véritable nature de la petite fille), en rapprochant le déplacement rapide de Maisie à celui d'un raptor, met ces deux êtres sur le même plan : tous deux sont crées en labo. C'est avec ce genre de parti pris que le film se démarque considérablement du premier opus. ''Jurassic World'' souffrait de la réalisation anonyme de Trevorrow, qui n'avait aucune idée visuelle. Ici, le travail effectué par Juan Antonio Bayona est sincèrement impressionnant. Son objectif est de chercher à rendre iconique un maximum de plan. D'où une mise en scène racée et élégante. Ses plans, très stylisés ont le plus souvent un sens et ne sont pas là que pour l'épate. Plusieurs visuels peuvent être pris pour exemple. On peut parler du dernier plan qui se déroule sur l'île. Un plan large déséspéré et construit comme un tableau où l'on voit la silhouette d'un diplodocus (symbole du dinosaure ''gentil'') sous des torrents de feu et de fumée. Grâce à cette séquence très frappante, on finit presque par comprendre la volonté des héros à vouloir sauver les dinosaures. On peut aussi parler de la scène du meurtre de Lockwood. Evidemment, pour ne pas choquer les âmes sensibles, le meurtre est filmé hors champ. Pour représenter la mort du personnage, Bayona préfère filmer le temps d'un bref plan la canne de Lockwood explosant au sol. Le plan, en soit est extrêmement anecdotique. Pourtant, cette canne, où l'ambre contient un moustique, est dans cette univers, l'emblème de ces milliardaires rêveurs, qui n'ont que de bonnes intentions (Hammond et Lockwood). Et la voir détruite est un symbole de changement. Désormais, les capitalistes rêveurs n'ont plus leur place et sont donc remplacés par des hommes commes Mills, sans scrupule et malhonnêtes. Les séquences d'action sont superbement étudiés et sont les plus majestueuses (mais pas les plus terrifiantes) qui ont été donné de voir dans un ''Jurassic Park''. Le travail effectué sur la lumière et surtout sur l'obscurité est à saluer (voir la scène d'ouverture). Et comme sur un tableau, Bayona a le droit de laisser sa signature. Dans le générique bien sûr, mais aussi dans le film avec ce plan de l'Indoraptor éclairé par une pleine lune. Or, la pleine lune est le gimmick récurrent de Bayona (il arrive même à en placer une dans ''The Impossible'', film essentiellement diurne). Enfin, ultime geste virtuose : Bayona se paye le luxe de réaliser un magnifique plan séquence sous-marin, ultra immersif (et ce le peu d'attachement que l'on peut ressentir pour les héros).
Bayona a encore frappé ! Malheureusement, il n'est pas le seul, puisque Trevorrow lui apporte un scénario dans l'ensemble assez médiocre, Bayona ne peut (et c'est déjà pas mal) que limiter les dégâts. Et comte tenu du matériaux de base, on peut dire que Bayona a vraiment fournit un merveilleux travail. Il faut dire que plusieurs éléments du scénario de Trevorrow avait de quoi lui parler. Comme la prolifération de monstre (humain ou non) qu'il y a dans le film. Ou encore le manoir de Lockwood. Par moment, on a presque l'impression (et donc l'émotion) de revenir dans la gigantesque maison de ''L'Orphelinat'', le premier film (et chef-d'oeuvre) de Juan Antonio Bayona. Malhereusement, des deux hommes, c'est bien Trevorrow qui risque de triompher, puisque ce dernier, non seulement scénarisera toujours le troisième épisode, mais en plus le réalisera ! On risque hélas de retomber avec le prochain Jurassic World dans l'anonymat hollywoodien qui caractérisait déjà le premier épisode. Peu importe, ''Jurassic World : Fallen Kingdom'' aura été une troublante parenthèse dans le ciel des blockbusters. Il aura été un film hybride où pauvreté scénaristique rencontre génie visuel. Il reste à savoir si Bayona continuera sur cette lancée hollywoodienne, ou s'il retournera en Espagne. Dans les deux cas, il reste un réalisateur à suivre, et à vénérer s'il parvient à se trouver un scénariste génial.