Partant du constat que le premier Jurassic World réunissait tous les ingrédients d'un accident industriel (script d'une flemmardise incroyable, personnages ridicules, effets spéciaux inégaux), son triomphe m'avait désespéré. Mais pas surpris, Jurassic Park conservant un pouvoir d'attraction énorme. Une suite était donc inévitable. La bonne nouvelle dans l'affaire, c'était l'arrivée du réalisateur Juan Antonio Bayona à la caméra. Quiconque jette un œil à sa filmo sait que le monsieur n'est pas un simple faiseur dénué d'ambitions. L'Orphelinat, The Impossible ou Quelques Minutes après Minuit témoignent d'une personnalité singulière, mêlant immersion, cadres massifs et un équilibre entre technologie/effets pratiques.
Ça tombe bien, parce qu'après la Bérézina essuyée en 2015, avec le Jurassic World du réalisateur Colin Trevorrow, la franchise avait bien besoin de la vision d'un auteur pour redresser la barre. Et qui sait, peut être nous faire de nouveau rêver? Je ne vais pas tourner autour du pot : Fallen Kingdom ne panse pas toutes les plaies qu'a laissé le premier.
Le gros problème du film réside autour de son scénario, qui se révèle une fois de plus d'une pauvreté exaspérante. L'histoire est tout simplement rudimentaire, creusant le sillon de son prédécesseur (les clichés font leur retour) en annihilant au passage toute surprise. Les personnages sont également réduits à leur plus simple fonctionnalité. Ils sont plats et sans finesse. Les acteurs font le job, rien à leur reprocher (sauf Bryce Dallas Howard, cette fois en surjeu). Mais constater qu'il suffit de 3 minutes au vétéran Jeff Goldblum pour balayer le reste du casting remet les pieds sur Terre. Créer des personnages charismatiques, ça ne réussit pas à tous les coups. Néanmoins, l'absence de héros/anti-héros exaltants est cruellement problématique. Trois ans, deux films, et rien de consistant à se mettre sous la dent.
Plus grave, le film peine également à renouveler ses thématiques. On se retrouve avec la même ritournelle répétée depuis 25 ans avec Jurassic Park. On parle avidité, inconséquence et pouvoir génétique. Rien de surprenant donc, sauf que la manière de les aborder rapproche Fallen Kingdom de son prédécesseur (horreur) plutôt que de proposer une continuation des réflexions entreprises avec les films de Spielberg. Il est regrettable que le script de Derek Connelly et Colin Trevorrow ne saisisse pas l'opportunité de transformer son intéressant postulat de départ, et se complaise dans une formule déjà étiolée.
Voilà qui fait beaucoup, me direz-vous. C'est vrai. Suffisamment pour anéantir un film? Normalement oui. Pourtant, Fallen Kingdom évite le couperet grâce à la star du film, Juan Antonio Bayona. Conscient des faiblesses narratives qu'il doit compenser, Bayona multiplie les idées de mise en scène, joue des échelles, de l'éclairage, des angles de vue. On dénote également une utilisation plus importante des animatroniques. Il en résulte un plaisir décuplé tant certaines séquences sont spectaculaires : l'introduction oppressante, l'évacuation, la gyrosphère). Le metteur en scène redonne par ricochet une aura majestueuse à nos amis dinosaures, loin des attractions de foire du premier JW. Enfin, la première heure fait de beaux clins d'œils aux premiers Jurassic Park , de manière beaucoup plus convaincante que son prédécesseur. On touche du doigt cette sensation d'émerveillement que Spielberg créait jadis. Une performance également à mettre au crédit de la bande originale imposante de Michael Giacchino.
La deuxième partie lorgne beaucoup plus du côté de Frankenstein, avec une ambiance plus noire et horrifique. Logique au vu des problématiques que la licence soulève. Bayona soigne ses effets pour les rendre opérants. S'il ne peut rattraper les tares d'une intrigue cousue de fils blancs, il peut néanmoins l'habiller par la simple maîtrise de sa caméra. Quand ça marche, c'est réjouissant. C'est lui et lui seul qui rend la vision de ce deuxième Jurassic World agréable. Et comme il donne le la dans un bon nombre de domaines (rythme, tension, humour), le film s'extirpe naturellement du blockbuster taylorisé. C'est déjà une prouesse en soi.
On ne peut que fantasmer ce qu'aurait pu être Fallen Kingdom avec une histoire mieux travaillée (car les idées étaient là). En l'état, le film rappelle combien la mise en scène peut faire la différence, surtout dans le domaine des blockbusters, aujourd'hui saturés d'effets spéciaux anonymes et de réalisations prosaïques. Si Jurassic World Fallen Kingdom ne trouve pas toujours le chemin, il n'est pas exclu qu'on puisse, au détour de quelques égarements, y trouver son compte.