Jacques Perrin surfe discrètement mais efficacement depuis une décennie sur une grosse vague écoloptimiste esthétisante. Cette fois, il pénètre à l'intérieur des territoires. Après les derniers empereurs et les océans, c'est la forêt primaire qui le branche... Engouement sincère ou opportunisme lucratif ? J'espère ne pas me tromper en penchant pour la sincérité, en tous cas je salue la construction de son dernier opus. A mon sens il réussit à rendre compte du caractère effrayant de notre empreinte humaine sur le devenir du monde, il essaye de nous faire prendre conscience de nos devoirs mais son très beau film appelle quelques réserves et se montre peut-être trop optimiste au final.
C'est d'abord un long chaos, bluffant, truffé d'instants magiques, rythmé (trop ?) sommairement par l'alternance du chaud et du froid, chaos qui traîne sans qu'on voie le temps passer, tellement on est subjugué par la maîtrise de l'image et du son. La beauté explosive autant que sereine du spectacle sobrement commenté est bien mise en valeur par une bande son qui assure. Respect....
Dans ce chaos manque toutefois (pruderie ou prudence commerciale, je ne sais) le spectacle des coïts comme suite logique des combats de mâles qui nous sont souvent montrés. Dans une scène touchante de naissance, une biche lèche son faon glaireux et titubant et mange son placenta. Mais pourquoi pas de coït ? Pour que le film soit visible par un jeune public ? Petite faute pédagogique à mon sens, si c'est le cas. D'autant plus que rien n'indique que chez les animaux d'une même espèce, contrairement à ce qui se passe chez les humains, les combats de mâles ne se terminent quasiment jamais par la mort d'un protagoniste ....
Dans ce chaos l'espace des espèces à poils et à plume est maîtrisé (ô combien !) dans des scènes de chasse (trop ?) artificiellement reconstituées, avec de vrais faux animaux sauvages : des loups et un lynx "imprégnés" parfaitement à leur place, mais aussi des poneys que j'hésite à considérer comme des habitants naturels de la forêt, aux époques ancestrales qui sont évoquées. Les chevaux, comme les bisons qui apparaissent quelquefois dans le film, se sont peu à peu adaptés à une vie d'herbivores taillés pour la fuite en milieu relativement découvert, en bons coureurs de prairies qu'ils sont, à la différence des sangliers notamment....
Dans ce chaos enfin, l'eau omniprésente nous est montrée, mais sans ses habitants car aucun poisson de rivière n'a été filmé. Que mangent donc les quelques pélicans qu'on voit de temps en temps, alors ? (Et que viennent d'ailleurs faire des pélicans en Europe ?)....
Voilà pour les points qui fâchent. Et peu à peu l'homme dérisoire apparaît (sa mise en scène est d'ailleurs assez peu convaincante), en un temps réduit au regard de l'immensité qui l'a précédé, mais un temps concentré au regard de ses conséquences sur l'écosystème forestier européen. L'homme installe sa prédation, le monde sauvage cède la place et le monde moderne prend forme. Cette deuxième partie du film, logiquement plus courte vu la brièveté de nos nuisances par rapport au temps planétaire, est sans doute moins réussie au point de vue de son impact esthétique. Elle nous montre la forêt qui régresse et l'homme nous est justement présenté comme un élément perturbateur. Aussi perturbateur que les changements climatiques d'origine galactique qui ont présidé à l'émergence du grand vert. Au registre des nuisances humaines qui sont évoquées, la chasse précède la guerre qui précède la pétrochimie et l'industrie. Bien vu....
Enfin, le dernier message que Perrin essaie de faire passer c'est qu'il est encore temps de vouloir mieux cohabiter avec nos cousins les animaux, mais cet optimisme final, délibéré et trop sommaire, ne m'a qu'à moitié convaincu, malheureusement...Reste que ce très beau film est utile, pour nous donner à penser après nous avoir émus...