Steven Spielberg et les frères Coen, eux sont au scénario, nous embarquent sur le pont des espions, œuvre remarquable qui revisite, une énième revisite, le ou les mythes de la Guerre Froide. Film d’espionnage, certes, le dernier né dans la filmographie de Steven Spielberg est avant toute chose un nouveau drame puissant car simplissime sur la bravoure, une nouvelle projection de toutes les valeurs humaines que chérit tant le célèbre cinéaste. Sa marque de fabrique est d’ailleurs omniprésente tout du long, sorte de naïveté face à la prétendue bonne foi de l’homme que cela en deviendrait si puissant que toute tentative de critique s’en verrait infondée. Oui, le grand Steven fait du divertissement tel qu’on le concevait il y a encore 20 ans, mais le fait si bien que son propos s’avère souvent inattaquable. Perpétuer les valeurs, bien dessiner les contours de tous actes valeureux, qu’importent les époques, les circonstances. Après Lincoln, père courage d’une nation qui s’y réfère souvent, voici l’archétype de l’homme de loi bienfaiteur, embarqué bien malgré lui dans les rouages d’une guerre du renseignement, un nouveau morceau de bravoure inspiré, inutile de le préciser, d’évènements réels.
C’est un peu naïf, oui, à mille lieues de la précision d’un roman de John Le Carré, à cinq-cents bornes d’un grand classique d’action-espionnage mais c’est in fine si passionnant à suivre que cela importe peu. Spielberg fait du cinéma tel qu’il le conçoit, et c’est tant mieux. Soit-dit en passant, si le cinéaste est assisté de deux autres monstres sacrés, les frères Coen, cela n’en est que plus emballant. On ressentira d’ailleurs la plume des deux frères dans les somptueux dialogues qui jalonnent le film, le cynisme du l’espion russe, la verve de l’avocat. Ajoutons à cela un casting de toute belle facture, de Tom Hanks, pilier de la maison Spielberg, impeccable et toujours vif, dans les dialogues ou la gestuelle à Mark Rylance, comédien livrant ici une performance de toute beauté, discrète mais éminemment puissante, d’où un Oscar mérité. S’il faillait émettre un avis négatif, disons simplement que le reste du casting s’avère bien trop timide pour rivaliser avec les deux comédiens précédemment cités.
Coté mise en scène, en principe l’un des nombreux points forts de Steven Spielberg, le compte y est. La reconstitution du Berlin divisé des années 50-60 est convaincante, pour ne pas dire impeccable, et ses prises de vues sont soignées. Notons que pour l’occasion, le cinéaste, au montage final, sera parvenu à quelques réussites majeures, notamment lorsque ses personnages se baladent sous la pluie battante ou dans la tempête neigeuse allemande. Le résultat, ne se voulant jamais spectaculaire, est pourtant agréable à l’œil. La marque d’un grand? Sans doute. Nous pourrions éventuellement émettre quelques réserves quant aux cadrages, mais cela reviendrait à pinailler inutilement. J’en viens, à ce stade de ma chronique, à me demander quel défaut je pourrais trouver à ce pont des espions?
Soyons franc, le pont des espions est un grand film hollywoodien, mais cela ne veut pas dire un grand film d’espionnage. Pour le coup, Spielberg, j’en reviens à son idéal un peu empâté, à sa grande propension à dresser le portrait de héros exubérants de bonne foi, ne peut rivaliser, dans cet exercice, avec la précision des films stricts du genre. Citons comme exemple l’adaptation de l’univers de George Smiley par Tomas Alfredson, La taupe, un film à la froideur, à l’intelligence bien plus imposante qu’ici. Mais qu’importe, voir Steven Spielberg s’atteler à un film d’espionnage tel que celui-ci, cela permet à un public bien plus vaste de s’intéresser au sujet de la Guerre Froide. Valeureux, indéniablement, que ce Pont des espions, peut-être même l’une des dix meilleures réussites de l’année 2015 pour le public lambda. Tant mieux. 16/20