Cannes 2007 : à la sortie d'un premier film présenté à la Semaine de la Critique, film dans lequel on rencontrait moult personnages et situations incongrus, nombreux étaient les spectateurs déclarant en sortant de la projection : « Je n'ai pas tout compris, mais j'ai bien aimé ». Ce film avait pour titre « Les Méduses », il avait été réalisé par un couple israélien, Etgar Keret et Shira Geffen et il était reparti de Cannes avec une Caméra d'Or parfaitement méritée. 7 ans plus tard, Shira Geffen est revenue à la Semaine de la Critique avec un film qu'elle a réalisé seule, un film dans lequel le burlesque le dispute à l'absurde : "Self Made". Exemple de ce qu'on y entend : un jeune palestinien interroge un adulte à propos d'un problème de mathématiques : un cycliste part à 7 h et roule à 35 km / h (pas mal ! NDLR) ; un autre, venant à sa rencontre, part à 7 h 30 et roule à 26 km / h. A quelle heure vont-ils se rencontrer ? Réponse de l'adulte : ça dépend du nombre de check-points sur la route ! Enfin, là, c'est plutôt drôle, mais, malheureusement, ce n'est pas absurde.
Plus classiquement, allons voir un peu l'histoire : celle de deux femmes qui, physiquement, se ressemblent pas mal. Micha est israélienne, c'est une artiste conceptuelle réputée et elle est féministe. Ayant subi une ablation de l'utérus, elle va en faire un sac qu'elle exposera à la Biennale d'art contemporain de Venise : "les femmes adorent les sacs, peut-être encore plus que les enfants". Micha a un mari, souvent parti à l'étranger dans le cadre de son travail. Nadine est palestinienne et ouvrière chez ETACA, une société qui fabrique et vend des meubles en kit (Si ça vous vous fait penser à une société suédoise, c'est probablement que cela a été fait exprès !). Son travail : remplir les paquets de vis accompagnant les meubles à monter. Contrairement à Micha, Nadine rêve d'avoir un enfant. Casque sur les oreilles, elle traverse tous les jours le même check-point en écoutant du rap palestinien. Un matin, le lit acheté par Micha chez ETACA se casse et Micha devient plus ou moins amnésique. La cause : une vis qui manquait dans le paquet de vis. Bon, le reste, on ne va même pas essayer de le raconter tellement tout baigne dans un absurde plutôt sympathique. Sachez seulement qu'il y a des crabes mélomanes, un vieil ordinateur qui impose des sites pornographiques à Micha lorsqu'elle veut "skyper" avec son mari, des interviewers allemands venant interviewer Micha et qui vont se retrouver face à Nadine, et une jeune fille soldat en poste à un check point et qui ne sait pas trop quoi faire du fusil qu'on lui a attribué.
On ne peut pas être étonné de se retrouver baigner dans l'absurde face à un film qui, sur beaucoup de points, est une métaphore de la situation absurde qui règne en Israël depuis des dizaines et des dizaines d'années. "Self Made" est un film sur l'identité, montrant deux femmes enfermées dans leurs rôles mais qui se ressemblent à de nombreux points de vue, au point de pouvoir, un jour, échanger leurs vies. Comme Israël et la Palestine. Tout en étant très drôle, "Self Made" est en même temps un film assez noir. N'est-ce pas le cas également du théâtre de Beckett et de Ionesco ? A noter que Sarah Adler, qui interprète le rôle de Micha, était déjà la tête d'affiche de "Les méduses". Par contre, pour Samira Saraya, qui joue Nadine, c'est son premier rôle au cinéma.