Un choc... C'est certainement le mot qui définit le mieux cette expérience assez unique.
The tribe porte pourtant une histoire assez simple : celle d’un jeune Ukrainien sourd et muet qui débarque dans un établissement spécialisé et va devoir trouver ses repères et sa place dans cet univers violent et cruel.
Dès les premières minutes, il est aisé de réaliser que l'on est face à un vrai film de cinéma, avec des partis pris et de choix très forts et marqués. En effet, le premier (et le plus évident), est annoncé dès le début par un carton introductif : le film sera intégralement en langage des signes ( un élément introduit dans le scénario par l’environnement dans lequel évoluent les personnages), sans sous-titre et sans traductions. On est donc face ici à un choix radicale, voire brutal pour n'importe quel spectateur. Mais c’est bien sur ce point déstabilisant que la magie purement cinématographique opère : le réalisateur nous fait par ce choix la preuve que le cinéma est un art puissant, car l’image permet de tout comprendre ! Par le jeu des acteurs, les cadres (on reviendra sur la mise en scène), la narration... tout est claire ! Ce langage inhabituel (presque inapproprié à priori) au cinéma plonge aussi dans une ambiance particulière, tamisée et inquiétante. Le son est d’autant plus important que le moindre événement sonore voit son impacte décuplé, en rupture avec l’habituel calme, soulignant la brutalité de l’instant. Il devient alors fascinant d’observer ces sourds et muets, extrêmement bavards : The tribe est en fait très bavard, il parle beaucoup, mais par les signes. Le dialogue est en réalité omniprésent, et devient fascinant à observer, et permet même de comprendre des brides de mots… l'aspect universel de l’image est magnifiquement mis en avant.
Mais le film de Slaboshpytskiy ne se réduit pas à ce choix de cinéma, et toutes se autres composantes sont aussi puissantes. La mise en scène relève aussi du pur exercice de style, puisque le film est uniquement composé de plans séquences, absolument splendides, qui alternent dans une même temporalité entre cadres fixes et finement composés et des travellings au steadycam virtuoses. Un certain mécanisme (faiblesse de scénario diront certains) se met en place, puisque chacun de ces plans séquences se terminent tous pas un cadre fixe et une sortie de champ d’un ou plusieurs personnages, mais permettent en réalité de décupler l’impact et le force du plan final, déjà un pure choc en lui même.
La virtuosité s'applique aussi au vrai travail fait sur la manière de filmer les personnages, filmer ces corps qui s’expriment. Durant les travellings, la caméra semble danser avec eux (ou contre eux parfois...), s’éloigne et se rapproche dans d’amples mouvements. Elle s'insinue aussi dans leur intimité la plus primaire, la sexualité étant toujours filmée en plans fixes, dans lesquels les personnages en plein pied occupent tous le cadre à l’horizontale. Il s’en dégage une certaine beauté et poésie, une nouvelle fois en rupture avec le reste du film, bestial et brutal jusque dans sa représentation du texte.
The tribe est effectivement indéniablement un film brutale. La violence est montrée et omniprésente, les plans son longs et éprouvants (complaisant dans le glauque et le morbide dirons d'autres), rien n’est caché, les actes les plus animaux et archaïques sont montrés de manière assez frontale, parfois à la limite de l’insoutenable. Mais cette violence n'est qu'une manière d'insérer ces personnages dans un univers, un monde et un environnement lui-même violent... Cette imagerie 'est que partie intégrante de ce que filme Slaboshpytskiy: un monde ou la concession n'existe pas, à l'image de son cinéma !
Au final, The tribe est sans doute une vrai claque, une vraie expérience dont on ne ressort pas indemne. Le résultat de ce premier film, au delà de tous jugement critique, est vertigineux, l'ambition est démesurée et la séance éprouvant. Mais il ne reste à la fin plus que le souvenir d'un pure film de cinéma, à l’état brute !