Ce dimanche 19 avril, nous avons eu la chance de pouvoir assisté à une représentation en direct du ballet Ivan le Terrible donné par le Théâtre du Bolchoï et diffusé dans les cinémas Pathé-Gaumont par le biais d’une transmission satellitaire, réalisé par Vincent Bataillon. Reprenant la musique composée par Sergueï Prokofiev pour le film éponyme et Alexander Nevsky de Sergueï Eisenstein, Yuri Grigorovitch a créé ce ballet en février 1975. Joué pendant quinze ans, il fut éclipsé pour revenir dans les années 2000 à l’Opéra Garnier à Paris. C’est maintenant le moment pour lui de regagner ses pénates.
Vers 1547, alors que le jeune Ivan IV (Mikhail Lobukhin) vient d’accéder au trône moscovite, les boyards, princes de sang qui sont ses vassaux voit d’un mauvais œil cette succession imposée. Il doit choisir parmi leur fille sa future femme. C’est Anastasia (Anna Nikulina) qu’il choisit au grand désespoir du prince Kurbsky (Denis Rodkin). Alertés par des émissaires, côte à côte, les deux hommes partent défendre le royaume contre une invasion étrangère. La victoire commune n’empêche pas Kurbsky de ruminer et il décide, avec l’aide des boyards, d’attenter à la vie d’Ivan. Par méprise, c’est Anastasia qui périt du poison. Ivre de vengeance, au bord de la folie, Ivan devient le Terrible, premier tsar de Russie, en faisant éliminer les grands seigneurs féodaux coupable du régicide, en instaurant un régime autocratique et un débutant l’unification de la Russie autour de Moscou.
Nous avions vu, en janvier, Le lac des cygnes également mis en scène par Yuri Grigorovitch, et le dépaysement n’en est pas moins total. À une mise en scène mettant en avant les prouesses techniques des danseurs, le chorégraphe préfère ici les mouvements plus amples, moins spectaculaire mais plus voluptueux. Cet Ivan le Terrible ne l’est pas tant que ça tant il respire la douceur, la sensibilité et l’amour. Avec Anastasia à ses côtés, le jeune monarque ne semble vivre que de romance. Ce n’est que la folie le gagnant, avec le visage halluciné de Mikhail Lobukhin, que notre héros devient finalement un monstre sanguinaire et que le ballet se fait plus énergique, comme habité par ses démons et son désir de vengeance. C’est tout le sujet du premier acte, ou l’ivresse de l’amour ne laisse de place qu’à l’évocation sensuelle du désir. Seule les scènes de guerre déploient une myriade de danseurs redoublant d’audace. Dirigé par Pavel Klinichev, l’orchestre symphonique du Bolchoï est accompagné, par moment, par une chorale d’enfant, évoquant à la fois des anges célestes et la prière d’une nation à naître pleurant Anastasia.
Utilisant à nouveau avec une grande intelligence, les différents plans de la scène, Grigorovitch laisse apparaître chaque protagoniste comme une apparition fantomatique, un nouveau pion du destin, grâce à des jeux de lumière très bien pensés. Le lexique religieux est omniprésent et procure au destin d’Ivan, la posture d’un calvaire biblique. D’abord évident par la présence répétée des cloches de la cathédrale, cet aspect revient sous le signe de la croix dans la chorégraphie même lors qu’Ivan, pauvre hère délirant, s’imagine tirer Anastasia du tombeau et la porte de manière à symboliser une croix. Le tombeau, d’ailleurs, est symbolisé par la même pierre monolithique où, tour à tour, trône Ivan ou bien se trouve la couche nuptiale. Fil conducteur, cette pierre ornait de l’aigle bicéphale symbolise à elle seule, l’amour maudit par la convoitise et le pouvoir. Magnifique instant, l’agonie d’Anastasia où Kurbsky et sa troupe touche du doigt la pierre froide rappelle la Mise au tombeau du Caravage. Dernier élément très important pour comprendre le goût des détails dans l’œuvre de Grigorovitch, notons que tous les vêtements sont commandés en blanc puis coloré dans les ateliers du Bolchoï comme l’indique la présentatrice Katerina Novikova. Il faut dire que les costumes de Simon Virsaladze, aux couleurs magnifiques, porte la lourde nécessité de marquer les personnages uniques au milieu de la foule.
Sortis, à nouveau, plein d’image merveilleuse imprimées sur la rétine et les airs de Prokofiev sur les lèvres, c’est avec impatience que nous attendrons de pouvoir à nouveau profiter des performances hors-normes des étoiles, des solistes et du corps de ballet du Bolchoï. La prochaine saison du Bolchoï, du moins des retransmissions internationales, débutera par Giselle le 11 octobre 2015.
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