“Le voyageur des siècles” est un téléfilm de près de six heures réparties en quatre épisodes diffusés en 1971. L’INA dans sa précieuse collection DVD “Inédits du fantastique” a eu la très bonne idée de sortir de ses étagères sans doute un peu poussiéreuses ce petit joyau d’une ORTF encore bien vivace malgré sa prochaine disparition quatre ans plus tard. Le projet était porté depuis vingt ans par Noël-Noël et Jean Dréville qui s’étaient rencontrés en 1944 pour le tournage de “La cage aux rossignols”. Devenus amis, les deux hommes tourneront quatre films ensemble. Jean Dréville à la réalisation et Noël-Noël se chargeant des dialogues et des scénarios en plus de faire l’acteur. Devant renoncer à l’idée d’adapter sur grand écran ce concept inspiré de la fameuse “Machine à remonter le temps” (1895) d’H.G Wells et du “Voyageur imprudent” (1944) d’André Barjavel, ils se tournent vers la télévision qui finit par accepter d’apporter son financement à hauteur de deux millions de francs de l’époque. Il faudra donc toute l’expérience de réalisateur de Jean Dréville (47 films et documentaires de 1928 à 1966) tout juste retraité du cinéma pour pallier aux manques de moyens visibles à l’écran notamment concernant la figuration et les décors tant intérieurs qu’extérieurs. L’absence de comédiens de renom au générique qui découle de ce budget plus que chiche est génialement compensée par la finesse des dialogues et l’ingéniosité du scénario auxquelles s’ajoute la très riche idée de confier l’un des deux premiers rôles à Robert Vattier, comédien de seconds rôles plutôt obscur à la carrière malgré tout prolifique dont le titre de gloire sera d’avoir tenu aux côtés de Raimu, Fernand Charpin et Dullac le rôle d’Aldebert Brun, vérificateur des douanes, dans la fameuse partie de cartes du “Marius (1931) de Marcel Pagnol. Alors âgé de 63 ans, il profite de l’occasion pour montrer que sans doute quelques quarante ans plus tôt, Raimu et Charpin lui avaient refiler en douce un atout coeur qu’il ressort avec brio et panache pour cette “Julevernerie moderne” née dans l’esprit fécond de Noël-Noël. Flanqué de son arrière, arrière petit neveu (Hervé Jolly), François d’Audigné (Robert Vattier), chercheur iconoclaste qui avait imaginé à la fin du XIXème siècle une possible machine à remonter le temps, va enfin pouvoir réaliser son rêve. En effet François d’Aubigné chercheur comme lui mais cent ans plus tard (en 1981) est parvenu à concrétiser l’ébauche de son grand oncle. Le concept narratif a bien sûr déjà été établi par les deux romans cités plus haut mais aussi popularisé par le cinéma de genre. Mais ici, tout le savoir-faire conjugué de Noël-Noël et de Jean Dréville réside dans l’exposition jouissive de la relation qui se tisse entre les deux chercheurs parents, ravis au-delà de leur retrouvaille improbable de partager une trangression temporelle connue d’eux seuls. Le tout est serti de dialogues tout à la fois raffinés et poétiques mais aussi alertes, drolatiques et incisifs qui démontrent qu’une passion commune peut permettre de dépasser le fossé générationnel qui séparent deux savants à la curiosité insatiable même si la finalité recherchée n’est pas toujours la même. Après s’être rejoint au XIXème siècle de François pour faire le constat de la réussite, les deux hommes décident d’aller humer l’air sulfureux de l’époque pré-révolutionnaire de 1788. Très rigoureux et empreint de sagesse, le vieil oncle conditionne ce voyage à la promesse de ne jamais chercher à modifier le cours des évènements. En somme ne pas jouer à l’apprenti sorcier. Une éthique louable qui n’est pas si bien ancrée dans l’esprit tourmenté du jeune neveu, enfant de son siècle qui pense déjà que rien ne doit résister à l’esprit humain et à ce que l’on nomme parfois imprudemment “le progrès”. On le voit, même sur un ton souvent badin, le film n’est pas sans exposer quelques problématiques essentielles sur lesquelles, en ce début de XXIème, l’homme n’a pas franchement avancé, loin s’en faut. Mais l’essentiel tient sans doute dans la réalisation de ce fantasme impossible qui voit les deux compères constater ébahis et à rebours les changements géographiques des lieux qu’ils ont fréquentés chacun à leur période. On pense notamment à une croix de calvaire défréchie dont ils peuvent vérifier qu’elle a un jour été neuve ou encore aux futurs grands boulevards parisiens du baron Haussman qui n’étaient encore sous Louis XVI que de simples chemins forrestiers. La naïveté du propos fait plaisir à voir mais aussi la complémentarité du duo formé par un Robert Vattier qui tient dans cette production modeste le rôle de sa vie et un Hervé Jolly enflammé qui n’aura guère était plus loin dans le métier d’acteur, se concentrant sur le doublage notamment de Clint Eastwood repris après le décès de Jean-Claude Michel qui était la voix française historique de l’acteur. En somme un divertissement qui s’il n’avance pas à cent à l’heure, ne rendra pas idiot. A voir ou à revoir par ceux qui dans leur jeunesse ont connu les grandes heures de l’ORTF mais aussi à recommander aux plus jeunes un peu curieux qui auront pour le coup l’occasion d’effectuer un double voyage dans le temps.