Difficile de ne pas avoir eu vent de l’affaire Fritzl, ce fait divers autrichien proprement aberrant ayant eu un écho médiatique retentissant voici une décennie : l’auteure Emma Donoghue ne s’y trompera pas en imaginant Room en 2010, roman librement inspiré qui sera lui-même adapté au cinéma cinq ans plus tard. Sa particularité étant que cette dernière en signera le scénario au côté de Lenny Abrahamson, ici à la réalisation : un tandem d’irlandais ayant de la suite dans les idées, tant le succès critique sera au rendez-vous avec une pléiade de récompenses.
Room est un long-métrage intéressant à bien des égards, et ce par-delà sa fameuse propension à chambouler en raison d’un sujet sensible : sans davantage tergiverser, le tour de force qu’il opère tient indéniablement en Jack, cinq printemps au compteur. Là où un traitement plus classique aurait été de se focaliser sur Ma/Joy, l’intrigue s’arque sans discontinuer autour du rôle porté par l’ excellent Jacob Tremblay, celui-ci accomplissant en l’espèce une prestation confondante de justesse : un parfait support pour une figure naturellement encline à nous remuer (dans tous les sens du terme) de bout en bout, le récit catalysant à travers lui une pléthore d’émotions contradictoires.
Si Jack est d’abord le centre du monde de Ma, il faut donc bien comprendre qu’il va devenir le nôtre par l’entremise d’une écriture sacrément fine, et d’autant plus louable que l’exécution pouvait être sacrément risquée de prime abord. Room maintient ainsi l’immersion d’un spectateur toujours plus investi, les contours du drame familial se dessinant à mesure que l’entrée en matière, tenant plutôt du thriller en huis-clos, s’amenuise. Nous aurions en ce sens pu nous attendre à ce que la quasi-intégralité du long-métrage consiste en un crescendo haletant, son dénouement pouvant alors tenir en une salvatrice libération de ces pauvres hères.
La direction que le réalisateur emprunte à mi-parcours relève du contraire, quand bien même « l’évasion » de Jack nous administrera un étalage des atouts de Room : une perspective vierge, des lacunes aussi bien sociales que physiques et, surtout, une atmosphère aux milles et unes tonalités...
La crispation, le soulagement puis l’émerveillement nous gagnant coup sur coup. Plutôt que de céder aux sirènes d’un sentimentalisme bienheureux, la seconde partie du film affermira les serres de séquelles insidieuses : interprétée par une Brie Larson décidément épatante, le bonheur promis à Joy à sa libération lui échappe peu à peu. À travers les yeux enfantins de Jack, Donoghue distille avec parcimonie et subtilité les signes d’un mal profondément ancré, sa mère succombant au marasme d’une spirale infernale.
L’existence-même de Jack étant aussi à même de créer des remous hautement significatifs, Room démontre d’une réelle capacité à aborder pareilles ramifications, les actes de Old Nick et leurs conséquences ne pouvant se résoudre qu’à l’aune d’un travail de longue haleine. Nous pourrions toutefois pointer une certaine légèreté dans les faits, mais il s' avère que la démarche demeure cohérente (et non pas facile) ; qui plus est, traiter habilement d’un tel sac-de-nœuds psychologique aurait nécessité un développement des plus complexes, et nul doute que cela aurait été un échec s’il avait fallu concentrer tout cela en une petite heure.
Nous pourrions encore disserter sur la puissance des mots et des images que distille " Room " avec une savante retenue, preuve en est d’un doigté excellent entre exposition et introspection, mais concluons plutôt au moyen d’une séquence en particulier : la rencontre entre Jack et Seamus. La simplicité dans son plus simple appareil, où ce sourire au comble de l’enchantement estomaque pour de bon le spectateur qui n’en demandait pas tant.