Après « Frank » ovni cinématographique avec Michael Fassbender (qui portait une grosse tête en papier mâché), Lenny Abrahamson revient à un cinéma plus « classique », à une histoire moins déjantée mais bouleversante. Le scénario de Room a été écrit par Emma Donoghue, une romancière irlandaise qui l’a adapté de son roman éponyme. Inspiré de l’affaire Fritzl, Room raconte l’histoire d’une jeune femme enlevée, séquestrée et violée par un homme (surnommé « Old Nick ») durant sept longues années dans une petite cabane au fond du jardin de son ravisseur. De ces viols est né un fils, Jack, qui grandit en captivité. Pour éloigner le sordide du faits divers et l’horreur de cette situation, Emma Donoghue et Lenny Abrahamson ont l’excellente idée de raconter cette histoire du point de vue du petit garçon. On découvre ainsi la « pièce » (la « room » du titre) par les yeux de Jack, qui vient de fêter ses 5 ans. A travers lui, on pénètre dans leur monde et l’on va découvrir les rituels qui émaillent leurs journées. Ma a crée pour un un univers à part, fictif, pour ne pas le confronter à la réalité, un peu à la manière de Roberto Benigni dans La Vie est belle : dehors il y a les aliens, là, dans cette pièce ils sont protégés et « Old Nick » prend soin d’eux. Ce choix de point de vue n’enlève rien à la force de l’histoire, bien au contraire. L’innocence de Jack est touchante et en même temps terriblement cruelle pour sa mère : il ne comprend pas ce que sa mère a vécut et vit, elle qui a connu le monde extérieur, et ses caprices prennent une force supplémentaire. Jusqu’à ce que Ma lui révèle la vérité et crée une histoire pour faire sortir Jack, qu’il puisse alerter les secours.
On pourrait dire que la première partie du film se termine ici, lorsque Jack sort de la pièce. La deuxième partie voit les personnages, Ma redevenue Joy, et Jack, évoluer à l’extérieur et (ré)apprendre à vivre. Mais pas de mélodrame gnan-gnan ou de happy end à l’horizon. Room est un bien un huis clos : si l’enfermement était physique dans la première partie, il est ensuite psychologique. Lenny Abrahamson traite avec acuité, violence sourde et délicatesse le retour à la vie normale, ou dans le cas de Jack, la découverte du monde. Il aborde rapidement la question des médias (leur présence écrasante, leurs questions intrusives, le jugement des autres), la relation parents-enfants (comment faire/réagir quand la fille qu’on nous a enlevé réapparaît 7 ans après ?) mais c’est surtout la relation entre Ma et Jack et son évolution qui reste au centre du long-métrage. Comment s’adapter ? Comment continuer ? Il faut trouver une autre façon de s’aimer, sans être collés, accepter que l’autre ait un peu d’indépendance.
Une histoire très forte, une réalisation sobre mais intense, et surtout, deux acteurs époustouflants, Brie Larson et Jacob Trembley. Après avoir vu la jeune actrice de 26 ans dans quelques séries et seconds rôles (Scott Pilgrim, The Spectacular Now, Don Jon), on l’avait réellement découverte dans le superbe States of Grace, dans lequel elle incarnait une jeune femme à la tête d’un foyer pour adolescents en difficulté. Un rôle magnifique, très émouvant, qui rejoint sa prestation dans Room. Couronné de l’Oscar de la meilleure actrice, une longue et belle carrière s’ouvre à elle. Ce que l’on souhaite également au jeune Jacob Trembley, tout juste 9 ans, impressionnant.