Une "dramédie" librement inspirée de l’histoire du suicide du poète Heinrich von Kleist en 1811.
Berlin, début du XIXe siècle. Les guerres de la Révolution française et de l’Empire ont enlevé à l’Autriche une grande partie de ses possessions en Allemagne et toute l’Italie. Heinrich von Kleist (interprété par Christian Friedel), poète et dramaturge, est en proie à une mélancolie morbide et, malgré son âge, est las de la vie. Il cherche désespérément une âme sœur, non pas pour la vie mais pour la mort, qui acceptera de l’accompagner dans son suicide en mourant avec lui. Épris de sa cousine Marie, il lui formule sa proposition mais celle-ci refuse. Il jette alors son dévolu sur Henriette Vogel (l’excellente Birte Schnoeink), jeune femme mariée, qui accepte après avoir été diagnostiquée d’une maladie incurable.
Pour son quatrième long métrage, Jessica Hausner signe un film mélancolique et loufoque dont la richesse scénaristique vient pallier à une audacieuse lenteur et une mise en scène très austère. Contrairement à ce que le titre indique, il n’y a point de scènes d’amour dans cet Amour Fou, ni aucun moment d’effusion sentimentale d’ailleurs. Les personnages s’embrassent (et s’étreignent parfois) pieusement, mais sans aucune exultation charnelle. Les décors et les plans reflètent d’ailleurs les relations des protagonistes : c’est simple, tout est droit et carré. Même les lits des époux sont à angle droit, histoire d’éviter tout coït. La majorité des plans sont fixes, ce qui gênerait moins si les personnages n’étaient pas si fixes eux aussi.
Au milieu de toute cette droiture, les seuls moments où l’on perçoit du mouvement et quelques lignes brisées sont ceux où Heinrich et Henriette se dirigent en diligence vers Potsdam et qu’ils se baladent en forêt pour s’y donner la mort. A croire que leur tragique destin est plus excitant que celui des salons d’érudits. Du début jusqu’à la fin, le film semble avoir été tourné dans un théâtre : un grand rideau rouge drapé fixé au plafond nous ferait même penser que les personnages se mettent eux-mêmes en scène. Et comme dans une pièce, chacun est une caricature: le poète maudit égocentrique et mégalomane, la bourgeoise mariée soumise et résignée, les nobles mondains hypocrites, les médecins ignorants et charlatans… Tout semble faux et surfait : les couleurs des murs en carton pâte sont criardes et les costumes ressemblent à des patrons teints à peine cousus. On a l’impression de voir un print ad en 4 x 3 pour Benetton version XIXe siècle.
Autre détail qui nous a saisi, l’absence de musique, qui aurait pu nous aider à comprendre le ton du film: tragique, comique, dramatique ? Les seuls airs que l’on entend sont des lieder allemands chantés par une Henriette accompagnée au piano par sa fille Pauline : l’histoire d’une violette qui veut se faire cueillir par une jeune fille qui ne la voit pas et l’écrase, ou encore Au-delà des montagnes bleues qui est l’endroit où visiblement les personnages aimeraient mourir. Ces chansons reflètent au final le triste destin de la protagoniste : celui de n’être aimé par personne et de trouver la paix dans la seule immortalité, c’est-à-dire dans la mort.
Conclusion, le film est très bien construit mais manque cruellement de rythme. Il faut attendre 45 longues minutes pour se souvenir que le titre de ce qu’il nous est donné à voir est bel et bien Amour Fou (on est surpris d’ailleurs de s’en rappeler). Au final, on n’a pas eu vraiment envie d’aller au-delà des montagnes bleues et n’a cessé de s’imaginer pendant tout le film dans cette publicité pour Crunch à inventer des rebondissements pour rendre le film plus vivant (et ce qui est drôle, c’est que le type s’appelle aussi Heinrik).
Donc notre conseil : si vous êtes déprimés ces temps-ci, n’allez pas voir Amour Fou. Mais si vous ne l’êtes pas, n’y allez pas non plus !